Connaissez-vous Sclash, ce jeu de combats issu de la culture nippone aux décors colorés ? Non ? Pourtant, il s’agit de l’œuvre des Français de Bevel Bakery. Si, si, contrairement à ce que leur premier jeu pourrait laisser croire, Sclash est bien un jeu hexagonal ! Et si nous allions à la rencontre des fondateurs de cette « boulangerie » quelque peu biseautée (Bevel Bakery en anglais, ndlr) ? Kimono obligatoire pour un entretien à coup de baguette ! 


Est-ce que chacun peut se présenter, ainsi que son parcours ? J’ai lu dans d’autres médias que vous vous présentiez comme un collectif d’artistes plutôt que membres d’un studio de développement.  Bevel Bakery inaugure-t-il le concept de “studio éphémère” ?

Bastien : Bonjour et merci de nous recevoir pour cette interview ! J’imagine qu’on pourrait qualifier Bevel Bakery de studio éphémère oui haha. On ne voulait pas vraiment monter de studio, mais à un moment, il a bien fallu qu’on ait un nom. On est un collectif d’artistes / designers, je pense que c’est une appellation plus correcte en effet.

Je suis Bastien BERNAND / Kaldrin, game designer et artiste Lyonnais. Je sors d’une formation de game design à Lyon comme mes 2 collègues et j’ai appris le dessin et l’art en autodidacte. Pour parler de moi brièvement, j’aime beaucoup l’architecture, le parkour et les arts-martiaux, et je joue beaucoup à Minecraft et Zelda ! Dans le futur, j’aimerais idéalement pouvoir être développeur indépendant ou rejoindre un studio en tant que game ou level designer.

Victor : Moi c’est Victor, Game Designer et Développeur. Comme Bastien, je sors aussi d’une formation de Game Designer, mais mon domaine c’est plus le code ! Avant ça j’ai fait un DUT en Informatique / Communication (MMI) pour découvrir un peu le milieu avant de me jeter dans le bain du Jeu vidéo. Je travaille actuellement dans un studio JV à Montpellier mais je garde un oeil sur Sclash même si je n’ai plus beaucoup de temps pour bosser dessus…

– En quelques mots, c’est quoi Sclash ? Pourrait-on le voir comme la brochette bœuf-fromage des jeux de combats  ? 

Bastien : La brochette boeuf-fromage des jeux de combats ? C’est une manière très particulière de le décrire et je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire ! Sclash c’est un jeu de combat de samouraïs plein de tension où un seul coup suffit à gagner. Vous pourrez incarner des combattants animés à la main dans des décors peints pour des combats intenses et rythmés comme des duels de samouraïs, où vous vous regardez dans les yeux en avançant doucement avant d’échanger des coups puis reculer pour respirer. Les affrontements sont rythmés par une mécanique d’endurance inédite et prennent un format avec seulement 4 actions et une prise en main rapide. C’est un jeu de combat qui se veut plus casual, pour tous et toutes.


Qu’est-ce qui fait un bon jeu de combat et est-ce un genre que vous affectionnez en particulier ? 

Bastien : Oula je ne suis pas sûr que je peux répondre à cette question et encore moins brièvement ! Mon avis totalement biaisé c’est qu’un bon jeu de combat c’est un jeu équilibré et accessible qui offre une multitude de manières de jouer / archétypes de personnages stylés qui se répondent tous bien dans des affrontements juicy et profonds. Ça prend de nombreuses formes et un jeu de combat peut répondre à ses problématiques de bien des manières, d’où la diversité du genre. Et il faut que les personnages soient stylés.


On peut lancer une partie de Sclash pour quinze minutes comme y consacrer des heures et en connaître toutes les subtilités et variations. Le titre est à la fois très accessible et très technique. Comment concilier ces deux aspects ? 

Bastien : Je pense que vous surestimez l’aspect technique de Sclash mais c’est peut-être aussi ma vision de dev qui a le nez dedans depuis 4 ans. Généralement, on appelle cela l’élégance en game design, un système aux règles simples et accessibles qui pourtant mises ensemble donnent naissance à une très grande palette de situations. C’est le Saint Graal des jeux de combat et des jeux de manière générale. Chez nous ça se manifeste dans deux dimensions principales, je pense : les règles sont simples et faciles à prendre en main, la présentation claire, et on peut vite s’amuser et surtout avoir la sensation de maîtriser ce que l’on fait, mais chaque personnage et mouvement a ses petites subtilités qu’il devient intéressant d’explorer à force de jouer pour réellement maîtriser le système, sans que ce soit un avantage monstrueux non plus. Et ensuite, c’est un jeu où toute situation est risquée de par sa nature, et bien que son système soit simpliste, cette tension vient tout de suite mettre l’accent sur ce qu’il se passe dans la tête des joueurs plus que ce qu’il se passe entre leurs doigts, on essaye de lire, réagir, et comprendre l’opposant, et ça ne s’arrête jamais, car dès qu’on rentre dans sa tête, il faut qu’on s’adapte à sa stratégie changeante le round d’après, ça plus la vision de son énergie restante qui conditionne ses options, qu’on peut alors essayer de prédire. C’est quelque chose que tous les jeux de versus ont, mais c’est un point sur lequel nous nous sommes focalisés, car c’est là-dessus qu’on peut développer le jeu sans le rendre plus lourd mécaniquement. Je ne prétends pas que l’exercice soit une réussite sensationnelle, mais ce qu’on a est correct pour moi.


Pourquoi choisir comme décorum le Japon ? Comment s’est opéré le travail de recherche ? Comment s’est-il traduit dans toute son esthétique, dans ses musiques ou encore dans sa “mythologie” ?

Bastien : Le thème du Japon n’était pas particulièrement présent au début, on ne cherchait pas à faire un jeu de samouraïs. Mais très vite les intentions sur le rythme des duels, la tension, les épées, le « un coup, un mort », et le côté solennel et poétique, nous ont presque forcé la main, l’image du samouraï ne correspondait que trop bien, et c’était un thème plutôt en vogue, donc on l’a choisi. Concernant les personnages et l’usage de la mythologie, les recherches se sont surtout faites en ligne, avec le théâtre No, les figures de la mythologie japonaise, qu’on a ensuite réinterprétées pour créer notre propre histoire. Mais si c’était à refaire, je préférerais qu’on crée nos propres personnages originaux ! Pour ce qui est de la musique, on a entièrement fait confiance à notre compositrice qui a fait un super travail quand elle est intervenue. Je n’aurais pas grand-chose à ajouter là-dessus, je ne suis pas compositeur, mais sans grande surprise, on utilise des instruments traditionnels japonais sur des compositions originales, modernes et surtout dynamiques, car la musique et la présence des instruments changent en fonction du rythme du combat, quelque chose dont on est très fiers.

Cache-cache dans la forêt

Vous jouez à quoi en ce moment ?

Bastien : Je suis dans une période où je joue à beaucoup de petits jeux et beaucoup de démos, téléchargées aussi vite que désinstallés pour passer aux suivantes. Il y a une grande variété dans mon catalogue actuel et très peu d’argent dépensé. Je peux en citer un exemple, Tiny Glade, une sandbox reposant de construction de hameau médiéval avec des jolies fleurs et arbres et des outils très robustes pour assurer que tout est joli quoi qu’on fasse, rappelant un peu Townscaper. Et sinon on se fait régulièrement des parties des Lethal Company avec des potes, c’est toujours très cool.

Victor : De mon côté, je suis pas mal sur des jeux compétitifs en ce moment. Que ce soit Valorant, Rocket League ou encore Street Fighter VI pour rester dans le domaine du jeu de combat. Mais habituellement, je suis plutôt orienté vers les jeux de stratégie.


Pouvez-vous nous expliquer la relation avec Maximum Entertainment (auparavant Just For Games) et Abiding Bridge ? Qui fait quoi, qui est qui ?

Bastien : Abiding Bridge c’est une maison d’édition de jeux vidéo indépendants, mais pas que. Iels font le lien entre les développeur.euse.s et l’industrie du jeu vidéo via une large gamme de services, et organisent aussi des formations en ligne pour démocratiser l’accès à la connaissance. Leur objectif est de permettre à des projets sans entreprise de voir le jour et d’être publiés, avec une préférence pour ceux portés par des personnes marginalisées. Iels n’offraient pas de financement lorsque nous avons signé avec elleux mais leur accompagnement, savoir-faire et leur réseau ont été très importants, justement pour trouver Maximum Entertainment, qui eux sont un éditeur plus “classique” qui nous ont permis de sortir sur consoles, avec un vrai budget communication, du doublage… Nous travaillons donc avec les deux conjointement, et la relation est super. Maximum a signé avec Abiding Bridge pour publier le jeu, qui a signé avec nous pour accompagner le projet à travers leur structure (Car il faut une entreprise pour travailler avec des éditeurs souvent, et pour plein d’autres choses…).

Duel of the Fates

Comment s’est déroulé l’exercice d’équilibrage du titre ? Le casting est composé de cinq personnages sur lesquels les variations ont été lissées, mais on sent que chacun a sa propre identité. Est-ce qu’ils correspondent à une intention particulière ? Par exemple, Izanagi semble plus porté sur la défense, il bénéficie d’une attaque chargée à la portée plus longue mais paraît plus lent. Est-ce qu’il y a un schéma derrière chaque protagoniste ?

Bastien : Cela a été beaucoup d’apprentissage que d’essayer d’équilibrer le jeu, mais le fait est qu’on a un peu le cul entre deux chaises. On voulait à la base n’avoir qu’un seul personnage pour ce souci d’accessibilité, que tout le monde ait le même et qu’il soit donc facile de connaître son adversaire. Puis ensuite, on a augmenté l’ambition et on voulait avoir plusieurs personnages, mais qui ne seraient que du cosmétique, ils auraient les mêmes capacités et vitesse. Puis en les designant et en faisant les animations et suivant les retours des joueurs, on a appuyé des différences entre ces derniers, avec chacun son domaine, son archétype, mais c’était fait de manière un peu bancale. On a beaucoup équilibré le jeu avec les retours des joueurs, et certains déséquilibres ont été un peu lissés en effet. On a clairement des intentions d’archétypes pour les différents personnages, mais on était au final limité par notre système de combat pas prévu pour ça à la base.


Est-ce que vous avez réfléchi à un mode tutoriel autre que le mode “histoire”, que ce soit pour l’entraînement aux parades ou bien au positionnement ?

Bastien : On a réfléchi à un mode entraînement qui pourrait servir de tutoriel, mais avec le château de cartes qu’est notre code, c’était très compliqué à ajouter rapidement. On a préféré tirer partie du fait qu’il y a un mode histoire auquel les gens joueront sûrement assez vite pour qu’iels saisissent les mécaniques au début.


Le titre a-t-il un avenir compétitif sur la scène e-sport  ? 

Bastien : J’en doute même si certains joueurs pensent que oui et qu’on a quand même pu organiser des petits tournois. De toute façon ce n’était pas l’intention du jeu, et je ne pense pas qu’il ait la profondeur nécessaire. C’est un jeu de combat casual pour tous et toutes et il accomplît cette mission très correctement, ça nous suffit.

Victor : C’est aussi incertain du côté technique ! Un jeu compétitif a besoin de serveurs solides et d’un netcode qui l’est encore plus. Malheureusement, c’est un peu hors de notre portée en termes de moyens et de temps à investir. Mais comme l’a dit Bastien, l’objectif a été atteint de notre côté : Un jeu de combat casual qui marche et qui plaît.


Quel regard portez-vous sur l’industrie du jeu vidéo à l’heure actuelle et quels sont vos ressentis sur cette dernière ?

Bastien : Je pense qu’on est aujourd’hui dans un marché aussi compétitif que créatif et inclusif, plus qu’il ne l’a jamais été (même s’il y a encore du chemin pour ce dernier point), et c’est à la fois merveilleux en tant que joueur et compliqué à naviguer en tant que développeurs. Ça se ressent par la fermeture de studios, par les revenus moins prévisibles de nombreuses équipes. Il y a de plus en plus de développeur.euse.s et ça dilue forcément les rentrées et les financements, et même si les bénéfices de la filière battent des records ça n’empêche pas les gentils investisseurs de fermer des studios et virer des équipes à succès de part et d’autres parce qu’iels en ont envie… Ce qui est triste, mais j’ai bon espoir que ça va se redresser un peu. De toute façon il y a bientôt plus de jeux qu’il n’y a de joueur.euse.s donc forcément c’est compliqué, et il y a de plus en plus de jeux en développement qui auront du mal à trouver leur public. C’est un secteur passionnant, mais c’est un secteur dans lequel il n’y a plus vraiment de place malheureusement. Enfin ce n’est que mon avis et je préfèrerais me tromper.

Victor : En ce moment, je trouve que c’est un moment compliqué pour le jeu vidéo. Beaucoup de studios qui ferment, encore plus de licenciement de studios très influents, des rachats dans tous les sens, des studios qui prennent de moins en moins de risques, etc. On arrive à la fin de la bulle spéculative que le COVID avait créée. Tous les nouveaux joueurs qui étaient arrivés pendant cette période ont repris leurs occupations et donc le nombre total de joueurs a baissé, mais le nombre de jeux disponibles à, lui, augmenté. Heureusement dans tous ces jeux il y a encore des indépendants qui luttent encore et toujours contre le courant et qui sortent des jeux tous plus créatifs et innovants les uns que les autres ! J’ai de l’espoir pour le secteur même si en ce moment on y vit une crise assez forte.


Merci à Bevel Bakery d’avoir joué le jeu et d’avoir répondu à nos questions.

par

Avatar de Dognote

Commentaires

Laisser un commentaire