Parfois, entre mener deux guerres galactiques contre des aliens tentaculés et gluants et patauger dans des égouts immondes à la poursuite d’une horreur quelconque, le joueur fatigué ressent le besoin de se poser un moment dans un univers vidéoludique plus calme et surtout plus reposant. Et ça, les studios UMANIMATION et UN JE NE SAIS QUOI l’ont bien compris en créant Dordogne. Quoi de mieux que de se remémorer les souvenirs de vacances familiales d’une fillette et revivre, pendant quelques heures, les joies simples et l’émerveillement innocent de l’enfance ?
La famille, c’est… toujours compliqué
Histoire de doucher immédiatement notre bel optimisme, nous plongeons au cœur d’une ville grise, morne et pluvieuse pour faire la connaissance de Mimi, jeune trentenaire, qui profite d’une pause bien méritée sur le parking d’une station-service, pour prendre un peu de repos à l’arrière de son increvable 2 CV Charleston (soooo frenchy !). Interrompue par un texto lapidaire de son paternel, reçu sur son non moins increvable téléphone du début des années 2000, afin de nous donner un indice temporel, nous comprenons rapidement que la situation de notre fougueuse brunette à lunettes est loin d’être au beau fixe.
Fraîchement sans emploi et en rupture avec ses parents, elle a décidé de “partir à l’aventure”, guidée par une mystérieuse lettre de Nora, sa grand-mère récemment décédée. Mimi arrive dans la propriété périgourdine de cette dernière sous un soleil de fin d’après-midi et est confrontée à la première énigme du jeu sous forme de puzzle : récupérer la clé de la maison dans la boîte aux lettres. Après avoir vigoureusement malmené puis démonté l’infortuné conteneur, notre héroïne met enfin la main sur le précieux sésame.
La tension est palpable alors qu’elle pénètre enfin dans la demeure silencieuse. Le parquet craque, l’obscurité est angoissante et après quelques tâtonnements pour allumer une bougie fort commodément mise en évidence dans le couloir de l’entrée, le regard est attiré par un stylo plume qui n’est, bien entendu, pas là par hasard. Quelques manipulations plus tard, Mimi découvre un second message de Nora, qui la fait basculer dans ses souvenirs d’enfance, quand elle avait douze ans, lors de son dernier passage en ces lieux.
Souviens-toi, l’été dernier
La première chose qui nous frappe, c’est l’ambiance lors de cet été si particulier : plus lumineuse, joyeuse et colorée, en rupture avec les teintes ternes de la première partie du chapitre. La jeune Mimi préadolescente, revêche et bougonne à l’idée de passer un mois complet toute seule avec Mamie, nous ramène plusieurs décennies en arrière par son style vestimentaire et ses expressions, rappelant un jeune héros de dessin animé également coiffé d’un chapeau de paille (non, non, pas Luffy, beaucoup plus vieux !).
Les objectifs permettant d’avancer dans l’histoire sont listés très clairement, mais c’est en se détournant du chemin principal et en furetant dans la maison et son jardin que nous découvrons les premiers collectibles du jeu. Ils prennent la forme de stickers, de cassettes audio et de mots-clés liés aux états d’âme de Mimi, autant de raisons de fouiller un peu partout. Par la suite, un appareil photo Polaroïd ainsi qu’un Walkman doté d’un micro permettent de capturer d’autres précieux instants à différents points de vue panoramiques alentour. À l’issue de chaque chapitre, représentant une journée marquante de ces vacances estivales, ces souvenirs peuvent être combinés au sein d’un carnet de scrapbooking multimédia.
C’est donc ainsi que Mimi adulte remet progressivement en place les pièces du puzzle fractionné de sa mémoire, retraçant les événements qui se sont déroulés vingt ans plus tôt, quand son portable ne lui rappelle pas régulièrement sa situation personnelle compliquée (sérieusement, ça capte, ici ?). L’exploration de la propriété silencieuse amène à chaque fois son lot de découvertes : ici, la remise au fond du jardin, dont le poilu gardien de la clé est aussi insaisissable que vorace, là, la porte verrouillée menant au grenier, dévoilant des secrets de famille anciens, des correspondances surprenantes et bien entendu, de nombreux artefacts qui ramènent de nouveau Mimi en 1982 pour raviver ses souvenirs, comme une partie de ping-pong temporel.
Après Emily in Paris, Mimi in Sarlat
On n’échappe pas aux clichés habituels au fil de la narration (on peut même parfois parler de tacles violents…) concernant les citadins et tout particulièrement les Parisiens, “tellement désœuvrés” quand ils sont privés des commodités habituelles de la grande ville. Ici en province, tout est plus simple et authentique. On prend le temps de faire les choses et d’apprécier le moment présent. La région du Périgord est bien entendu mise en valeur avec brio, à la fois dans ses paysages naturels délicieusement (dé)peints, ses légendes locales, sa population chaleureuse et bienveillante, sans oublier sa gastronomie (Aaaah, les patates à la graisse de canard !).
Certains lieux, situations et objets paraissent particulièrement exotiques au joueur mineur ou étranger, mais accrochent un sourire indulgent sur le visage de tout franchouillard d’un âge certain, par leur côté très “carte postale” totalement assumé. Le passage par l’écran des options, intégré dans un dessin de Mimi enfant, permet de remarquer que le jeu est doublé en sept langues et traduit en pas moins de quatorze dont l’occitan, qui a bien entendu une place toute particulière dans l’univers du jeu.
Les décors ont cette touche artistique si particulière et rendent un hommage vibrant aux paysages idylliques du sud-ouest français. Cédric Babouche, directeur artistique du jeu et peintre aquarelliste, a réalisé près de deux cents toiles inspirées de la région qui, une fois numérisées, servent d’écrin à l’aventure. Les personnages en 3D ne sont pas en reste, leurs “bonnes bouilles” s’intègrent plutôt bien et transmettent facilement les émotions, malgré leur réalisation épurée et leurs animations faciales très tranchées.
Les morceaux du duo de frères montpelliérains, Supernaive, accompagnent nos explorations des environs et posent une ambiance majoritairement apaisante et mélancolique. Les compositions très vintage enveloppent le joueur en soulignant les changements d’humeur de Mimi et apportent une vraie bouffée d’oxygène. Notons enfin la contribution de la sœur de ces deux musiciens, qui pose ici sa plume et sa voix envoûtante sur plusieurs pistes.
Une chanson de soleil et d’eau
Dordogne est un jeu simple à prendre en main. Trop simple peut-être, car nos actions sont guidées, balisées, par ces éléments mis systématiquement en surbrillance lors des phases de manipulation d’objets ou cette vue en hauteur (en montgolfière ?) du marché de Sarlat-la-Canéda qui indique clairement (un X marque l’emplacement !) où aller faire ses emplettes, telle une carte au trésor interactive, alors que nous sommes censés découvrir le lieu.
En ce sens, le titre justifie pleinement sa classification PEGI3 par une accessibilité totale qui, si elle permet à tout le monde de parcourir le titre sans heurts, tue dans l’œuf toute tentative de réflexion. La maniabilité à la manette tente de retranscrire les mouvements à effectuer (le brossage de dents est un grand moment) mais manque parfois de précision et semble globalement plus adaptée à l’utilisation d’une souris. On peut aussi regretter une narration environnementale qui aurait mérité d’être plus complète mais qui laisse la place à l’interprétation personnelle.
Cependant, Dordogne n’est pas qu’un simple raviveur de souvenirs heureux dans un cadre champêtre. En effet, sous ses atours adorables et son apparence inoffensive, la rose a des épines. Car oui, le titre est une expérience douce-amère qui joue énormément sur les émotions, parfois intenses, et peut résonner en chacun de nous d’une manière plus ou moins forte, selon notre degré de mimétisme (Mimitisme ?) avec le personnage principal.
Au fil de l’aventure, raisonnablement courte, environ cinq heures en profitant pleinement de la narration et sans aller en ligne droite. Certaines vérités se dévoilent, des expériences oubliées resurgissent et la quête de Mimi se teinte d’une bonne dose de résilience, de nostalgie et de regret. Cela est quelque peu paradoxal au regard de la jouabilité, car titiller ces thématiques personnelles et familiales, complexes et parfois douloureuses, s’adresse plutôt aux joueurs ayant déjà un certain vécu. C’est probablement l’occasion de partager l’expérience de manière intergénérationnelle, pour renforcer ces liens qui ont, et c’est l’un des messages forts du titre, tendance à s’étioler avec le temps.
Diagnostic final
« Les lieux, les objets devraient avoir plusieurs vies »
Dordogne est une vibrante lettre d’amour à cette région de France, peu représentée dans le dixième art, mais généreuse, chargée d’histoire et de folklore. C’est aussi une belle fable intimiste sur le temps qui passe et nous fait parfois oublier ces objets, ces lieux, ces personnes et ces expériences qui ont compté pour nous, mais que nous avons rangés dans un tiroir de notre mémoire pour nous concentrer sur le quotidien. Couronné du Prix de l’Excellence Visuelle lors de la cérémonie des Pégases 2024, le titre des studios bordelais n’est pas exempt de défauts, mais remplit pleinement ses objectifs narratifs et émotionnels, telle une aquarelle vivante qui fait voyager dans le passé.
Constantes positives |
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- La direction artistique
- Les thématiques sérieuses et sensibles
- L’écriture des personnages
- La fête aux références rétro
Pathologies |
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- Un gameplay trop peu présent
- Ne pas confondre “mignon” et “pour les enfants”
Le tampon du spécialiste
Informations complémentaires :
Type : | Aventure – Point’n Click |
Développeur : | UN JE NE SAIS QUOI / UMANIMATION |
Éditeur : | PulluP Entertainment |
Date de sortie : | 13/06/2024 |
Version : | Xbox Game Pass |
PEGI : | PEGI 3 |
Temps de jeu : | 10H |
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