Le jeu vidéo ne cesse de surprendre, d’étonner ou d’émerveiller. Les productions ARTE sont de cette trempe. L’éditeur nous a prouvé, depuis un peu plus de dix ans désormais, que l’industrie vidéoludique peut porter un autre regard sur la pratique et les expériences interactives. Depuis Type : Rider en 2013, la chaîne franco-allemande a parcouru un long chemin et chaque jeu est une invitation à (re)découvrir la conception même de « jouer ». 

C’est ainsi qu’est arrivé le dernier-né des productions ARTE à la rédaction, 30 Birds. La jaquette du jeu est, en soi, un appel à rêver. Ces couleurs vives, cette typographie aux allures persanes… Tout donne envie de se plonger dans cet univers mystique, à la recherche de ces oiseaux gracieux (ou pas !) que le jeu nous invite à rencontrer. Et cet aspect de la découverte, on le doit à deux esprits nomades : Coline Sauvand et Laurent Toulouse.

C’est d’ailleurs le point de départ de la création de 30 Birds : une invitation au voyage, car il s’agit bien… D’un voyage ! À l’origine se trouve un périple vieux de dix ans dans la mystérieuse ville d’Istanbul, en Turquie. Une aventure racontée comme un carnet interactif, fait d’illustrations reprenant le concept des miniatures persanes. Les créateurs du jeu ont donc tardé à penser 30 Birds comme un jeu vidéo, mais l’expérience est tout à fait dépaysante.


Un monde théâtral de miniatures…

30 Birds est donc une ode à la culture persane, dont les œuvres ont pu être transmises dans une zone géographique aussi vaste que celle incluant l’actuelle Turquie, jusqu’à l’Ouzbékistan, en passant par l’Iran. Une culture faite de sa propre mythologie et de manières artistiques de la raconter. Les miniatures peintes en sont une illustration parfaite et imprègnent le jeu de leur force visuelle.

Tout commence naturellement par un trajet en train. Zig se réveille subitement d’un rêve étonnant, dans lequel un étrange coyote a un message à lui transmettre. Ou plutôt, un avertissement : le Savant est de retour et pourrait compromettre le réveil de la déesse Simurgh. Tout aussi désemparée que le joueur, Zig papote avec son voisin qui lui parle d’un grand festival musical, organisé pour la déesse.

Simurgh est un grand oiseau majestueux. Son nom veut d’ailleurs dire « trente oiseaux » en langue farsi, en jouant un peu avec les mots. Il est dit que la déesse se réveille tous les cinquante ans et au moment où l’aventure débute, ce jour est enfin arrivé. Le train est bondé et présente déjà tout le charme de ce type de voyages, appelant à la contemplation, mais aussi au dialogue. De multiples personnages acceptent de répondre aux questions de Zig et une première épreuve musicale permet de tester son habileté.

Sans être catégorisé comme un jeu de rythme, 30 Birds rend la musique omniprésente tout au long de l’aventure. L’arrivée à Cité Lanterne se fait donc dans la joie et l’allégresse d’une population attendant impatiemment sa déesse. Dans ce monde dystopique, humains et animaux peuvent communiquer et cohabitent en harmonie. La première miniature est très vivante et appelle à l’exploration. Première, car il s’agira d’en explorer plusieurs, quatre principales au total : la Centrale, le Parc, l’Université et le Grand Bazaar. Toutes possèdent des sous-ramifications faites de petits mondes à part entière, comme la prison, l’observatoire, le musée, etc.


Entre rêves persans et réalités contemporaines…

Explorer 30 Birds, c’est comme errer dans une œuvre d’art interactive grand format. Chaque lanterne se présente comme un tableau fixe, mais plein de vie, à partir duquel on peut passer à un autre par un système ingénieux de « rotation ». En effet, chacune d’elle possède quatre faces sur lesquelles on peut aller et venir, à la manière d’un Super Mario Galaxy (l’aspect de rondeur en moins). L’exploration rotative donne une impression de regarder un monde de l’extérieur et passer le premier tableau surprend, en bien.

30 Birds, c’est un savant mélange de 2D et de 3D, mises à disposition d’un univers aux tons uniques. Chaque personnage possède un aspect très identifiable et des visuels tout à fait splendides à l’œil. On se surprend parfois à explorer chaque recoin, chaque partie cachée par des effets d’optique, dessinés des mains de Coline Sauvand elle-même. L’aspect global est envoûtant, appuyé par les mélodies de Charley Rose, qui propose une bande-son teintée de ska, de reggae et de dub. 

Très souvent, la musique est au cœur des interactions, en résolvant des casse-têtes sur des instruments plus loufoques les uns que les autres. Il faut dire que les oiseaux recherchés sont, pour la plupart, friands de bon son. Comme nous l’avons vu, 30 Birds tire son intrigue de la mythologie et notamment d’un poème de Farid al-Din Attar, parfois connu sous le nom de Attar de Nishapur. La Conférence des Oiseaux, le poème en question, raconte l’histoire d’un groupe de volatiles menés par une huppe en recherche de la divinité Simurgh.

Dans 30 Birds, la huppe se nomme Hoop et nous accompagne tout au long de nos enquêtes.  Elle est d’ailleurs un compagnon de route des plus agréables, à l’humour cinglant, ce qui ne gâche rien. Nos oiseaux, bien que légendaires, s’inscrivent néanmoins dans le réel, possédant tous un téléphone portable et des mimiques de notre époque bien contemporaine. Il s’agira donc d’en réunir trente d’entre eux, en les ajoutant à notre répertoire téléphonique. Tous ces personnages ailés devront rallier la confrérie menée par Zig et Hoop, souvent en rendant service ou en les charmant.


… Pour réimaginer l’existant  

30 Birds réunit de joyeux caractères et personnages hauts en couleur, tels que le fourbe marchand, le Maire ambitieux ou la Mort en personne ! Et il n’en faut pas moins pour vivre une aventure extraordinaire et partir à la recherche de Simurgh. La déesse a bel et bien été enlevée par le Savant et seule la réunion de trente oiseaux pourra la ramener et accomplir la prophétie de son réveil. 

Concrètement, 30 Birds se présente comme un jeu d’aventure et d’enquête assez basique dans ses mécaniques : suivre une quête, discuter avec les PNJ, résoudre une énigme ou rendre service, valider la quête et accepter l’oiseau « obtenu » dans sa guilde ailée fantastique. En revanche, le titre se distingue par les épreuves nécessaires pour y parvenir. Mélangeant plusieurs arts, il s’agira tour à tour de peindre, de jouer de la musique, de lire, de créer, etc. Une véritable fraîcheur créative ponctuée par un jeu inspiré du poker, sur lequel on apprécie de revenir à plusieurs reprises. 

Les enquêtes se résolvent de manière très logique et souvent à base d’observation. Il faut dire que le gameplay simplifié, au combo clavier/souris ou au pad, ne nécessite que deux boutons et les flèches directionnelles. Zig pourra même être équipée d’objets secondaires pour se faciliter la tâche, comme des babouches magiques ou un tapis volant. Les mondes-lanternes à explorer sont de taille idéale, rendant les allers-retours très agréables et non redondants. 

L’aventure pourra se boucler en six à huit heures, selon que vous tentiez la complétion à 100% ou non. 30 Birds ne propose pas de new game + mais il est possible de continuer l’aventure après l’avoir terminée, ainsi que de rejouer chaque enquête individuellement. Une belle manière d’arpenter une nouvelle fois les rues agitées de Cité Lanterne, profiter du temps qui passe en contemplant les pérégrinations des personnages, explorer de nouveaux lieux et ne jamais finir le voyage. Après tout, qui voudrait rentrer d’un séjour aussi dépaysant ?  



On ne va pas y aller par quatre chemins : 30 Birds est une réussite, à la fois visuelle et sonore. Il s’agit du genre de jeux qui élèvent l’industrie, non pas par ses mécaniques simples, mais par l’ambiance qui y est dépeinte. À l’origine carnet de voyage littéraire et illustré, 30 Birds a su « prendre vie » et gagner une consistance sur la manière de raconter un séjour en terres lointaines. L’aventure se savoure comme on apprécie de découvrir une spécialité culinaire inconnue et chaque personnage saura charmer à sa manière. Tout le travail effectué par Coline et Laurent, appuyés par l’expertise des équipes de Business Goose et les compositions musicales de Charley Rose, est délicieusement mis en avant par cette sensation artisanale que confère le titre. 30 Birds est une œuvre que l’on explore de manière interactive, conférant toujours plus au jeu vidéo son statut de 10ᵉ art.

Constantes positives

  • Une direction artistique sublime
  • L’exploration sous forme de « rotation » des miniatures
  • Des personnages tous plus attachants les uns que les autres
  • De l’humour subtil et fin

Pathologies

  • Des décors parfois trop fournis pour la visibilité
  • À quand la BO sur les plateformes musicales ?

Le tampon du spécialiste

 


Informations complémentaires :

Type :Aventure
Développeur :Ram Ram Games, Business Goose Studios
Éditeur :ARTE France, RTBF
Date de sortie : 28/11/2024
Version : PC, fournie par l’éditeur
PEGI :PEGI 12 (provisoire)
Temps de jeu : 8 heures

Configuration PC de test :

ProcesseurIntel Core i5-9300H CPU @ 2.40GHz
Carte graphiqueNVIDIA GeForce RTX 2060
RAM16 Go DDR6
Support de stockageSSD 500 Go
Plateforme de jeu : Steam

par

Avatar de Davcotron

Commentaires

Laisser un commentaire