Afin de nous éloigner de la cuisante morsure du soleil estival, Capcom nous propose de rester à l’ombre et de plonger dans une quête originale, melting-pot de genres vidéoludiques dans un écrin visuel et sonore traditionnel typiquement nippon. L’éditeur et développeur nous avait beaucoup plus habitués à des productions mainstream et de grande ampleur, capitalisant sur des IP connues depuis des années. Et cela est déjà en soi une excellente surprise.

Le titre est sorti sur l’ensemble des plateformes de dernière génération, en concurrence très indirecte avec Bō : Path of the Teal Lotus, pour leur ambiance commune très “soleil levant”. Sésame sur le mochi, le titre a bénéficié pour son pré-lancement d’une collaboration avec Okami (titre légendaire hautement spirituel) pour offrir des éléments cosmétiques ainsi que des musiques supplémentaires.


Le Conte du Chemin des Monstres

La corruption s’est abattue sur le Mont Kafuku autrefois si paisible et béni des dieux. De sombres portails apparaissent, vomissant des hordes d’abominations putrides, les arbres se flétrissent en de grotesques contrefaçons de mains avides et une poisseuse obscurité grandit et pulse dans les recoins abandonnés par l’astre diurne. Au sommet, une jeune prêtresse échappe de peu au funeste destin de son temple, réussit à contenir la malédiction par une danse sacrée et invoque un mystérieux personnage masqué pour l’assister dans sa tâche, mi-samouraï, mi-sentaï. Le temps de rejoindre cette dernière sur le parvis du temple après une courte ascension et avoir tranché quelques dizaines de rejetons chtoniens définis comme des Ikoku, la défense s’organise. Divers moines et guerriers attendent la horde de pied ferme et il faut leur venir en aide.

Une grosse bestiole absolument pas identifiée ou identifiable, mais avec une fort grande gueule, fait son apparition à travers le portail pour une joyeuse séquence de mêlée chaotique. Malheureusement, nos prouesses martiales au sabre ne sont pas suffisantes. Notre énergie vitale est aspirée et nous ne devons notre salut qu’au sacrifice héroïque de l’un des défenseurs. Nous parvenons à nous enfuir avec la prêtresse alors que le temple est définitivement perdu, emprisonné dans une poigne colossale venue d’ailleurs.

Nous apprenons alors que les Ikoku ont dérobé les masques sacrés de la Montagne et notre duo est enfin présenté : Yoshiro la miko et Soh le guerrier masqué. Ils doivent maintenant descendre au Sanctuaire en récupérant les masques corrompus en chemin afin de les purifier.


Vous n’avez pas fait LLCE japonais ? Ce n’est pas grave !

Pour ne pas être trop perdus, on a donc assisté à un cours de rattrapage rapide avec supplément religion, complètement optionnel, donc indispensable. Histoire aussi d’alléger un peu le reste de cet examen de mots compliqués en italique. Le titre prend donc place dans un univers japonais traditionnel fortement teinté de spiritualité et particulièrement de shintoïsme. La miko (prêtresse, ou enfant du kami (le dieu), ce titre honorifique pouvant faire l’objet de multiples interprétations) que nous accompagnons tout au long du jeu, pratique l’art du kagura, cette danse rituelle fortement ancrée dans les légendes de l’archipel. 

L’histoire raconte que la déesse du Soleil Amaterasu s’était retirée dans une grotte, condamnant le monde à des ténèbres éternelles. Ame no Uzume, représentant la gaîté, exécute alors une danse particulière qui provoque l’hilarité des dieux. La curiosité d’Amaterasu la pousse alors à sortir de sa grotte, illuminant à nouveau le monde. Cela souligne l’importance du cycle jour-nuit tout au long du jeu.

Lors des actions et des rituels effectués aux différents torii, ces portails si caractéristiques du Japon, le sabre de Soh est agrémenté de shide, ces bandelettes de papier plié au son si particulier lorsqu’elles sont agitées lors de cérémonies de purification ou de bénédiction. Si les tenants et aboutissants de cette rédemption forcée qui est au cœur de l’aventure restent floues jusqu’à sa conclusion (et encore…), il est logique que nos adversaires soient des représentants du Mal le plus pur. 

Les Ikoku (que l’on peut traduire par “sanglots” ou “gémissements d’effroi”) divers, avariés, grotesques et répugnants combattus au fil de l’histoire sont l’incarnation à la fois physique et spirituelle de la corruption de la montagne sacrée. Leurs appellations sont d’ailleurs significatives, puisque l’on retrouve des termes tels que kegare (souillure, tabou brisé) ou le suffixe -tsumi (dont le sens le plus proche serait le péché de la religion catholique).

Nous vous invitons d’ailleurs, si la culture nippone vous intéresse, à poursuivre cette quête intellectuelle passionnante, pour mieux appréhender ces croyances et ce sens très exotique de la spiritualité pour bon nombre d’occidentaux.


Faire ses armes tout en zénitude

Le premier niveau est celui qui était jouable lors de la démo proposée quelques semaines avant la sortie officielle du jeu. Les bases du gameplay sont simples. Lors de la journée, Soh parcourt librement le village en purifiant la corruption, en tranchant la faune malade et plus généralement en cassant tous les éléments qui sont mis en surbrillance. Il libère ainsi des humains de leur cocon démoniaque ainsi que de l’énergie sous forme de boules de couleur. Cette manne sert à faire avancer Yoshiro vers le portail qui marque la fin du niveau. Soh doit au préalable lui “ouvrir la voie” pour qu’elle avance alors automatiquement. 

Mais l’énergie sert également à “armer” les villageois libérés en leur assignant un métier spécifique, au début celui d’un humble bûcheron, une unité qui attaque au corps à corps dans une zone restreinte. Il est ensuite possible de placer chaque unité et la déplacer à tout moment en fonction des situations afin d’organiser efficacement la défense lors de la phase lunaire. Il faut donc bien jongler entre ces différentes options, sachant que le temps, symbolisé par la course des astres, est limité. 

Quand la nuit tombe, Yoshiro s’arrête et entame sa danse. Le portail s’ouvre et il faut empêcher les démons d’approcher de la prêtresse jusqu’aux premières lueurs de l’aube, où elle reprend sa progression. Placer judicieusement les villageois et choisir le lieu du combat, en arrêtant par exemple la progression de Yoshino sur des zones spécifiques, permet de contenir plus aisément la horde, mais c’est souvent aux commandes de Soh que nous effectuons le plus de ravages dans les rangs ennemis. 

Le gameplay est simple, alternant les coups faibles et forts pour réaliser des enchaînements qui, là aussi, se font tout en grâce et en légèreté. Une esquive, une parade et un coup spécial puissant, basé sur un timer, complètent les possibilités offensives et défensives. Lorsque Yoshiro arrive enfin au portail, après un dernier rituel, le niveau est réussi.


Prier, reconstruire et aussi se régaler

Chaque zone ainsi libérée sert ensuite de base. Soh peut aller voir Yoshiro dans sa tente, qui fait office d’interface d’inventaire. Il est possible d’équiper plusieurs gardes de sabre (tsuba), permettant la réalisation de différents coups spéciaux et des talismans magiques (mazo) qui donnent des bonus passifs. De délicates sucreries (wagashi) sont aussi fournies par les locaux à Yoshiro, avec une petite description à propos de leur utilisation lors des rituels traditionnels. Enfin, on peut consulter les rouleaux illustrés (emaki), présentant de superbes estampes qui retracent le périple du duo et les ema, ces plaquettes de bois symbolisant les vœux que l’on retrouve dans de nombreux temples, font office de collectibles. À noter que les modèles de ces différents objets sont visualisables sous toutes les coutures afin d’apprécier le travail de modélisation.

Il faut également renforcer les caractéristiques des villageois avec des faveurs spirituelles (musubi), qui sont octroyées pour la réalisation d’objectifs secondaires ou des tâches de reconstruction. Dans cette optique, rebâtir chaque village est primordial, en mettant à contribution la population locale. Plusieurs bâtiments, stèles et autres éléments doivent être réparés ou reconstruits. La mécanique est basique, mais efficace. Ces actions prennent du temps, il faut donc poursuivre ou relancer les combats de l’aventure pour profiter du fruit du travail des autochtones, ponctué par la renaissance de la nature, l’apparition de lanternes et le tir de feux d’artifice et récupérer les récompenses correspondantes. Visiter les villages déjà libérés permet de refaire le plein d’énergie et d’objets de soin entre deux combats.


L’heure de la punition a sonné, les gars !

Après cette réussite, il est temps de finir le travail. C’est donc immédiatement que la confrontation avec le premier boss a lieu. Énorme et tout aussi répugnant que ses congénères, il demande une bonne coordination entre Soh et les villageois pour obtenir la victoire ainsi qu’un masque qui ajoute un nouveau métier disponible pour les villageois. 

Une fois la région entièrement purifiée, la descente de la montagne se poursuit. Un nouveau village à libérer, avec cette fois-ci, deux portails à franchir. Un charpentier ne prenant pas part aux combats permet de réparer ou construire certaines structures qui facilitent les phases de défense, renforçant l’aspect stratégique. De la même manière, plusieurs chemins bloqués doivent être déblayés ou réparés pendant la journée par les villageois.

Dès le troisième gros vilain répugnant à trancher façon sashimi, l’organisation stratégique devient primordiale et même vitale pour réussir. Il faut lors de cet affrontement alterner les formations d’attaque et de défense, positionner correctement ses unités et rallumer les bougies qui s’éteignent régulièrement, pour bénéficier d’un avantage indispensable.


Comme une estampe hors du temps

Les environnements variés et absolument superbes dans leur réalisation s’enchaînent doucement, le gameplay s’enrichit avec l’arrivée progressive de nouvelles unités de plus en plus puissantes pour chaque masque récupéré sur les boss, de phases de gameplay un peu différentes, comme de la défense de zone, de la chasse aux sphères d’énergie ou la contrainte de conditions de combat particulières. Certaines classes sont réservées soit aux villageois, soit aux villageoises, et cela apporte une touche supplémentaire bienvenue concernant la stratégie à adopter.

Une fois le sixième village passé (et l’affrontement retour avec un “vieil ami”), Soh récupère sa force et peut améliorer les capacités de son masque au même titre que les autres. Les possibilités sont plus étendues, allant de l’amélioration de la puissance des enchaînements à l’utilisation d’un arc, ou en élargissant le nombre de grigris équipables. Et c’est heureux, car histoire de bousculer les habitudes, le neuvième lieu à traverser s’effectue sans aucun soutien.

Pour chaque niveau, il y a trois objectifs secondaires, dévoilés évidemment une fois la victoire acquise, qui demandent souvent d’y revenir plus tard. Il faut donc les rejouer avec des possibilités plus étendues et parfois la satisfaction d’un triomphe facile. De leur côté, les boss doivent être battus dans un temps limité pour bénéficier de leur récompense bonus. À ce titre, les complétistes en ont pour leur argent puisqu’à l’issue de l’aventure principale, durant une petite vingtaine d’heures sans trop forcer, il manque encore un paquet de missions à accomplir. En parallèle, un New Game + offre de repartir à l’aventure pour débloquer la vraie fin.


Superbe et addictif

Concernant la direction artistique, on est immédiatement plongés dans un Japon de légendes. Chaque niveau de la montagne dégage une ambiance particulière, paisible et invitant à la méditation le jour, angoissante et oppressante la nuit. On regrette seulement que certains environnements (principalement la neige) se retrouvent parfois de manière alternée, sans réelle cohérence d’enchaînement entre les niveaux. 

Les compositions diurnes laissent la part belle aux instruments à vent et à cordes, pour une ambiance sereine et contemplative. Les tambours rythment les combats nocturnes de manière très dynamique et on en viendrait presque à faire le parallélisme avec certaines pistes de la bande-son d’Akira, à la fois très traditionnelles et particulièrement adaptées à l’action. Plusieurs morceaux sont néanmoins surprenants en proposant des styles auxquels on ne s’attendait pas du tout.

Rien à signaler sur la localisation française qui fait parfaitement le travail. On aurait néanmoins apprécié un petit glossaire complémentaire expliquant les termes typiquement japonais qui tombent sous le sens pour le cœur de cible du titre, mais qui peuvent égarer les moins curieux. S’il est possible d’opter pour des voix anglaises, parcourir le titre en version originale reste la meilleure manière de l’aborder.

Le gameplay est un régal, mixant sans lourdeur l’action, la micro-gestion des unités et un volet extrêmement basique de (re)construction. Nous sommes constamment partagés entre l’envie de poursuivre l’histoire et celle de revenir dans les niveaux précédents pour réussir les objectifs optionnels afin d’augmenter notre puissance. La chasse aux collectibles n’est ni frustrante ni interminable, tout en proposant des challenges parfois bien relevés.

De par ses mécaniques et sa philosophie de jeu, le dernier bébé de Capcom nous a rappelé plusieurs titres. En premier lieu Brutal Legend (toutes proportions gardées, bien sûr !), avec ce personnage actif qui contrôle plusieurs autres unités tout en défendant une zone), mais dans des environnements plus restreints et avec un sens de la stratégie qui emprunte un peu au tower defense avec ses itinéraires imposés. 

Notre duo antinomique (une mystique fragile accompagnée d’un puissant guerrier immortel) nous a aussi fait penser à Knights Contract, ce titre de 2011 qui avait reçu un accueil plus que mitigé, malgré de très bonnes idées, probablement mal exploitées. Ce mix de genres pourrait paraître incongru, mais la recette fonctionne particulièrement bien, car elle sait rester suffisamment accessible pour ne pas rebuter les néophytes tout en étant relativement complexe à maîtriser.



Kunitsu-Gami : Path of the Goddess est une excellente surprise, principalement parce qu’elle arrive alors qu’on ne l’attendait pas. Les trailers, certes superbes, présentaient des personnages et un bestiaire très particulier. Ils étaient probablement trop cryptiques pour le grand public, qui y verra sans doute un énième jeu de niche réservé à un public strictement asiatique. Reconnaissons-le, sans un minimum de background sur le sujet, il est difficile d’apprécier pleinement le titre. Mais cette aventure mystique, à la croisée des genres, avec sa direction artistique magistrale et ses musiques envoûtantes, est idéale pour partir en voyage à l’autre bout du monde et du temps sans même quitter son canapé.

Constantes positives

  • Un mix d’action et de stratégie simple à comprendre
  • Une direction artistique superbe
  • Un point d’entrée sur la spiritualité nipponne
  • Des challenges relevés
  • Une bonne durée de vie

Pathologies

  • Trop japonais pour un public lambda

Le tampon du spécialiste


Informations complémentaires :

Type :Action-Stratégie
Développeur :Capcom
Éditeur :Capcom
Date de sortie : 19/07/2024
Version : Finale
PEGI :PEGI 16 – Violence
Temps de jeu : 2

Conditions de test

Testé sur Xbox Series X

par

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