Plusieurs d’entre nous n’ont probablement pas sauté dans le train de la hype de la série Persona lors de sa sortie initiale sur les consoles PlayStation, au début de ce millénaire. Spin-off de la licence Shin Megami Tensei, qui remonte à la fin des années 80, elle est considérée aujourd’hui comme l’un des piliers du JRPG et a été déclinée sur de nombreux supports et genres. Depuis quelques années, le studio Atlus s’est rapproché de Microsoft et ce Persona 3 Reload offre l’occasion idéale, pour l’habitué comme le profane, de se plonger dans les arcanes de cet épisode charnière, arrivé en 2008 sous nos latitudes et qui a marqué le début du succès de la formule à l’international. Si les fans de la première heure peuvent lui reprocher certains manques par rapport aux nombreuses versions complémentaires qui ont vu le jour entre-temps, ils ne constituent aucunement un frein pour profiter de l’expérience, remaniée et enrichie.
Avez-vous fait vos réserves d’anxiolytiques ?
Au lancement, le jeu nous prévient immédiatement que celui-ci aborde des thèmes psychologiques violents. L’opening présenté quelques semaines en amont de la sortie est servi admirablement par le morceau “Full Moon, Full Life !”, nouvelle piste signature arborant tout le potentiel d’un banger. Si les aficionados qui s’en étaient déjà régalés avancent en terrain plus ou moins connu, les simples curieux risquent de tiquer. Nous y découvrons les protagonistes se suicider symboliquement en se tirant une balle dans la tête, faisant apparaître une entité bizarre : ambiance dérangeante garantie. Mais dans l’univers si particulier de Persona, tout a une explication qui, à défaut d’être joyeuse, est parfaitement cohérente.
Après un voyage en train faisant suite à une première cutscene en anime qui pose l’ambiance, notre héros arrive à la station d’Iwatodai à Port Island, juste avant minuit. Le temps de sortir de la gare, le monde se teinte d’une inquiétante lueur verte, des traces vermeilles fort suspectes éclaboussent le sol et des cercueils agrémentent la décoration urbaine. Arrivé à notre dortoir, c’est un jeune garçon en tenue de prisonnier qui nous accueille et demande immédiatement de signer un contrat aux implications extrêmement floues, ficelle scénaristique facile permettant d’indiquer le nom choisi pour poursuivre l’aventure. Il disparaît ensuite dans un nuage de fumée pour nous laisser nez à nez avec deux sémillantes jeunes femmes. Notre arrivée tardive et la situation à l’extérieur ne semble aucunement les préoccuper et après avoir pris possession de nos quartiers, nous nous écroulons sur notre lit.
Nous sommes accompagnés par la charmante Yukari pour notre premier jour au lycée Gekkoukan. Nous plongeons rapidement dans le quotidien d’un étudiant japonais. Sur le chemin du retour, nous pouvons explorer brièvement la rue commerçante arpentée lors de notre arrivée la veille, bourdonnant de vie à la lumière diurne. Le mystère s’épaissit lorsqu’un autre pensionnaire du dortoir évoque de bien étranges évènements. Notre routine est perturbée lorsque nous sommes une nouvelle fois confrontés à la réalité alternative qui nous oblige cette fois à “mourir pour mieux renaître”, invoquant par là même notre première persona, lors de cette inquiétante vingt-cinquième heure qui coche toutes les cases du film d’horreur cauchemardesque.
Ils m’entraînent au bout de la nuit…
Le temps de nous présenter un peu plus en détail les premiers membres du groupe, nous rejoignons officiellement la brigade SEES (Section d’Exécution Extrascolaire Spécialisée) dans sa mission d’initiation au coeur du donjon du Tartare, qui prend la place du lycée, tel un palais maléfique, lorsque le monde bascule tous les soirs à minuit. La progression y est simple : chaque étage est généré procéduralement et se compose d’une série de blocs à parcourir, jusqu’à trouver l’escalier vers le suivant. Des coffres renfermant diverses récompenses sont présents, ainsi que d’inquiétantes sculptures qu’il est possible de briser pour récupérer, avec un peu de chance, quelques objets de soin ainsi que des bibelots à revendre ultérieurement au Commissariat, afin de financer notre croisade.
Les ennemis sont des ”Ombres”, symbolisés lors de nos déplacements par des blobs visqueux, à l’aura plus ou moins rougeoyante en fonction de leur force, qu’il faut battre pour gagner de l’expérience, pour nous et nos personae. L’interface de combat au tour par tour est simple, suffisamment dynamique pour ne pas se perdre dans des menus à rallonge et laisse la part belle à l’action, avec des animations impressionnantes pour les attaques spéciales. Alors que nos compagnons disposent d’une persona unique qui définit leurs possibilités et leur rôle au sein du groupe, notre héros a la possibilité d’en manier plusieurs et ainsi compenser les éventuelles faiblesses de la formation active, qui compte jusqu’à quatre membres. À l’issue de l’affrontement, avec de la chance ou si les conditions sont remplies, un tirage de cartes est effectué, permettant de gagner des sorts à usage unique, un bonus d’expérience, de l’argent, des effets bénéfiques divers comme une récupération de vie ou bien une persona spécifique à la partie du donjon explorée.
Certains niveaux nous opposent à des boss, souvent une version améliorée d’ennemis existants qu’il est indispensable de défaire pour poursuivre l’exploration. Une fois vaincus, ils ne réapparaissent pas, tout comme les coffres récompensant notre victoire à leur étage. Notre progression est systématiquement stoppée à des niveaux “limite”, requérant de battre l’adversaire majeur imposé par le scénario et apparaissant lors de la pleine lune pour continuer la grimpette. En contrepartie, des Portes “Monade” font leur apparition au fil du scénario, proposant des défis comparables mais réinitialisés à chaque visite du donjon.
Un agenda de ministre
Hormis nos incursions au Tartare, qui doivent s’effectuer uniquement de nuit et rendues parfois impossibles à cause des aléas du scénario ou de l’agenda contrarié (et contrariant) de l’un ou l’autre de nos compagnons d’armes, nous partageons donc les journées “classiques” de notre taciturne lycéen. Les cours diversement intéressants (anglais, histoire, ésotérisme, mathématiques… cherchez l’intrus), où les professeurs tous plus atypiques les uns que les autres nous interrogent parfois, s’enchaînent avec des séquences de temps libre en fin d’après-midi et en soirée que nous devons meubler en fonction de nos envies.
Et c’est là que la formule Persona prend toute sa dimension de visual novel. En bon élève modèle, nous accumulons les activités extrascolaires, sportives, artistiques, gastronomiques et surtout sociales, certaines prenant place à des moments précis de la semaine et/ou de la journée. Plusieurs confidents font irruption dans la vie de notre héros, via des rencontres fortuites ou au gré des informations glanées au cours des conversations et bénéficient d’un développement scénaristique dédié. Si l’on n’échappe pas à divers clichés manquant un peu de finesse, comme l’étudiant français (donnait-on vraiment cette image, à l’époque ?) féru de culture nipponne, le président du BDE très (trop) à cheval sur ses principes ou l’intendante de l’équipe d’athlétisme qui s’inquiète de la santé de tout le monde, ces histoires s’articulent souvent autour d’un drame poignant, personnel ou familial.
Tisser et renforcer les liens avec les personnages secondaires, chacun étant lié à un arcane majeur, est essentiel à la progression, car ils augmentent la puissance de nos personae correspondantes. C’est l’occasion de découvrir ou d’approfondir nos connaissances sur le tarot de divination, omniprésent dans l’intrigue. Parallèlement, plusieurs lieux en ville deviennent accessibles et permettent, en y passant du temps, de renforcer nos traits de personnalité (Courage, Charme et Savoir). Nous devenons ainsi un habitué de la salle d’arcade et des divers restaurants locaux, sans oublier notre travail à temps partiel dans un café ou au cinéma. Là où le système devient pervers et stressant, c’est que le développement de nombreuses histoires annexes et l’accès à certains lieux ne peut s’effectuer qu’après avoir obtenu un niveau minimum dans ces caractéristiques. Chaque journée devient donc un casse-tête d’optimisation. L’équilibre est délicat à trouver, car, bien entendu, le calendrier file, nous rapprochant inexorablement de la confrontation majeure suivante.
Velvet (Underground) Room
Que serait un Persona sans le personnage d’Igor, cet inquiétant maître de cérémonie aux attributs faciaux très pointus, qui nous accueille dans la Chambre de Velours et préside à la fusion des personae en notre possession afin d’en créer de plus puissantes ? Le développement de celles-ci est au centre des gameplays (à la fois pour le combat et l’aspect social). Mais il convient de ne pas trop s’y attacher; contrairement à nos compagnons d’armes dont la persona est unique et accompagne leur évolution, nous passons notre temps à mixer les nôtres, tel un Docteur Frankenstein mystique obsédé par le rendement et la puissance.
Tout l’intérêt et la richesse du système réside dans le fait que plusieurs combinaisons conduisent au même résultat, mais avec des variantes. La nouvelle persona créée hérite d’une partie des compétences de ses deux parentes. Comme la liste est limitée à huit au début du jeu, des choix s’imposent rapidement. Doit-on conserver un sort de soin ou le remplacer par une capacité passive protégeant de la glace ou une autre octroyant un regain d’énergie régulier ? Pas facile de décider. Ajoutons alors progressivement des fusions spécifiques de plus de deux personae, le déblocage de furies en récompense de certaines créations et nous obtenons un système à la fois fabuleusement complet et complexe. Chaque persona enrichit notre compendium et peut être invoquée ultérieurement, moyennant finances.
L’autre locataire de la Chambre de Velours est Elisabeth, beauté sculpturale au dresscode pervenche et à la personnalité apparemment naïve vis-à-vis du monde réel. Son insatiable curiosité prend la forme de requêtes à satisfaire (et souvent d’objets à rapporter), au sein du Tartare ou bien en ville, récompensées par des éléments tantôt utiles, tantôt cosmétiques. Il est possible, si l’on répond à un certain nombre de ses exigences, de l’accompagner lors de courtes escapades particulièrement sympathiques et décalées.
Persona 3 en costume de Persona 5
Si certains avaient pu se lancer dans l’aventure Persona 3 Portable dans sa version PSP ou plus récemment sur Xbox grâce au Game Pass, force est de constater que le travail réalisé est impressionnant. Il permet de profiter du titre dans les meilleures conditions possibles et ainsi de contenter les allergiques au rétro gaming. Les environnements urbains en 3D sont superbes, les artworks des personnages sont de toute beauté et les menus dynamiques et léchés. On peut regretter un Tartare probablement un peu trop convenu dans son design ainsi qu’un bestiaire manquant de panache et de diversité, ce qui place la partie dungeon crawling un cran en dessous du reste du titre.
Il est possible d’apprécier les répliques des protagonistes en anglais ou en japonais, les deux versions étant d’excellente qualité. La localisation textuelle française est un sans-faute, même pour certaines expressions et échanges qui s’effectuent en langage (très) familier. En parallèle, la bande-son mixe avec bonheur la J-pop, le nu metal et le hip-hop pour nous ramener à la fin des années 2000. De nouvelles pistes se mêlent fort bien aux anciennes qui ont été réorchestrées, formant un tout extrêmement cohérent qui constitue la signature musicale très forte de la licence Persona.
Au cours de la centaine d’heures que nous avons passées en compagnie de la SEES pour atteindre le générique de fin et débloquer le New Game +, à la fois en profitant de l’ensemble des intrigues annexes et en faisant un peu de grinding, reconnaissons-le, aucun souci technique n’a perturbé notre expérience. La répartition du temps passé entre le scénario et l’action est relativement équilibrée, ce qui peut constituer un sacré frein pour celles et ceux qui apprécient plus la baston que la discussion. Le titre n’est pas pour autant facile, même si la difficulté peut être ajustée à tout moment. Les grosbills trouveront un défi à leur mesure avec la fameuse requête 101, qui constitue une très violente leçon d’humilité si elle est abordée sans une solide préparation. Nous regrettons enfin une utilisation obligatoire du BMD pour la navigation dans les menus, ce qui n’est à l’usage pas vraiment agréable. Hormis ce petit détail, ce reboot du chef-d’œuvre d’Atlus coche toutes les cases d’un classique intemporel, sublimé par ses nombreuses améliorations.
La rentrée sous nos latitudes est d’ailleurs l’occasion idéale pour aborder ou reprendre l’aventure avec l’arrivée imminente de l’épisode bonus dédié à Aegis : The Answer.
Diagnostic final
Et ainsi le Mat sauvera le Monde de la Mort…
Se plonger dans ce Persona 3 Reload, c’est un peu comme rejoindre un anime hybride teinté de mysticisme, tantôt shōnen, tantôt shōjo, dans la peau du personnage principal. Chaque cycle lunaire peut se vivre comme une saison, avec ses joies, peines, combats épiques, révélations et autres moments dramatiques qui relancent l’intérêt dès que l’on a l’impression de glisser dans une certaine routine. Si le titre accuse son âge dans ses ficelles de gameplay et son scénario qui apparaissent aujourd’hui un peu trop évidents et caricaturaux, il est aussi et surtout un miroir pas si déformant que cela du monde moderne au travers de son casting éclectique, nous faisant nous interroger régulièrement, entre rire et larmes, sur les dérives, conventions et travers sociétaux d’aujourd’hui.
Constantes positives |
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- Un scénario moderne et prenant
- Une refonte technique très convaincante
- Un gameplay old school solide
- L’optimisation des personae
- 50% RPG, 50% visual novel, 100% japonais
Pathologies |
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- Trop particulier dans sa formule pour contenter tous les publics
Le tampon du spécialiste
Informations complémentaires :
Type : | JRPG |
Développeur : | Atlus, P Studio |
Éditeur : | SEGA |
Date de sortie : | 01/02/2024 |
Version : | Finale |
PEGI : | PEGI 16 : Langage grossier, violence |
Temps de jeu : | 100H + |
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