Accepter Cardrottini dans notre salle d’examen a soulevé un houleux débat au sein de notre équipe de cliniciens. Au-delà de l’aspect absolument anonyme que représente ce titre des plus absurdes, c’est surtout la place de l’IA dans la créativité vidéoludique qui interroge. Véritables phénomènes de mode depuis ce début d’année 2025, les brainrots italiens ont envahi les petits écrans depuis leur apparition sur les réseaux sociaux. Sans queue ni tête, ces personnages aux forts accents caricaturaux de la culture italienne sont dans la bouche de tou(te)s, notamment des plus petit(e)s. Toute la particularité de ces personnages vient du fait qu’ils ont été générés intégralement par l’IA ! Le fait de les retrouver comme protagonistes d’un jeu vidéo est plutôt surprenant et soulève quelques questions évidentes sur la créativité artistique, les droits d’utilisation et la pertinence de tels produits vidéoludiques. Ici, pas de Tralalero Tralala, ni le temps de niaiser ! Cardrottini est-il le prochain Cappuccino Assassino du jeu vidéo ou un simple phénomène de mode bien trop usé et balancé sur nos écrans, dont Bombardiro Crocodilo serait l’auteur ?
Pour comprendre ce qu’est Cardrottini, il faut déjà repartir à la base : que sont les brainrots italiens ? Le mot brainrot a été élu « mot de l’année 2024 » par le dictionnaire britannique Oxford. Ce que l’on pourrait traduire communément par « pourriture cérébrale » définit en réalité un nouveau genre de contenu numérique, basé sur de l’humour et des situations absurdes. Une tasse de café qui danse, un arbre-singe aux pieds gigantesques, un pingouin dont le corps est un salami… Autant de personnages totalement fictifs que l’on retrouve dans des péripéties ubuesques sur les réseaux tels que TikTok. Intégralement générés grâce à l’émergence de l’intelligence artificielle, ces contenus sont décrits comme divertissants et peu stimulants. Leur manque de logique ou de raisonnement fait que l’on enchaîne les vidéos les mettant en scène, sans chercher d’autre sensation que le rire hébété. Voilà donc le secret de ces brainrots. Ajoutez une pincée de voix off parlant un italien approximatif et vous avez la recette du dernier succès d’internet.
Il n’en fallait pas moins pour voir apparaître des vidéos et produits dérivés mettant en avant tous ces personnages loufoques, dont l’histoire est progressivement inventée pour les ancrer un peu plus dans le « réel ». Car voilà, le jeu Cardrottini, directement inspiré de ces brainrots italiens, est tout ce qu’il y a de plus anonyme ! Les communiqués de presse et autres contenus officiels sont signés d’un certain Don Bobritto, dont on ne connaît absolument rien. Aucune trace, aucun historique de développement… Juste un jeu vidéo sorti du néant et surfant sur cette mode numérique. Le compte Insta a deux abonnés, le TikTok fait à peine mieux avec six followers et le Discord du jeu atteint péniblement les dix interlocuteurs. Tout comme les personnages à qui il rend hommage, ce petit jeu de cartes semble, lui aussi, prendre le chemin d’une création totalement virtuelle, voire générée par IA. Si l’on est réfractaire à cette technologie, on ne peut qu’être refroidi par tant d’opacité et de manque de créativité. Concrètement, c’est quoi Cardrottini ?

Comment passer de l’absurde au concret ? En fait, non. Comment avoir eu l’idée de créer un jeu vidéo à partir de personnages créés par l’IA ? Voici la seule interrogation possible et pertinente. Si ce n’est une envie de surfer sur une vague de hype auprès des plus jeunes, qu’est-ce qui pourrait justifier de se servir de ces contenus numériques non protégés par les droits d’auteur, autrement que par visée pécuniaire ? Un pari, peut-être ? Oui, c’est une possibilité. On sait que le monde du jeu vidéo indépendant peut parfois surprendre et donner lieu à de rapides créations vidéoludiques pour montrer l’étendu de son talent. Dans le cas de Cardrottini, le principal avantage est que tout l’univers était déjà existant. Pas de personnages à créer, pas de contexte à inventer : on fait face ici à un jeu qui utilise simplement l’existant pour donner vie à un tout autre contenu divertissant. Sachant que les brainrots commencent à avoir un historique, des histoires à raconter diffusées sur internet et des relations entre eux, pourquoi ne pas les faire s’affronter ?
Si vous suivez le phénomène, vous savez probablement que Bombardiro Crocodilo et Tralalero Tralala sont rivaux ou bien que Ballerina Cappuccina et Assassino Cappuccino sont en couple. Un jeu de cartes sur table les faisant tous s’affronter était donc la solution la plus simple et la plus rapide pour proposer un jeu vidéo issu de cet univers. C’est alors ce pour quoi Don Bobritto a opté avec Cardrottini. Le menu est relativement simple et peu travaillé : un tutoriel pour apprendre les bases de combat, un mode solo face à l’IA, un mode multijoueur en ligne et un créateur de decks avec les cartes acquises. Le tuto est on ne peut plus simple et propose un combat type face à un adversaire virtuel. À l’instar d’un jeu de cartes classiques, type Pokémon ou Yu-Gi-Oh, on dispose d’un deck, d’une pile de défausse et d’un banc disposant de sept emplacements pour y disposer ses combattants aux accents italiens. Sur le poste actif, un « champion » que l’on retrouve devant nos valeureux guerriers et qui dispose de 30 points de vie.

Vous l’aurez donc probablement compris : le but du jeu est de se défaire du Champion de l’adversaire. Afin d’atteindre cet objectif, nos cartes à jouer disposent de points d’attaque, de vie, mais également de mana. À chaque tour, cette dernière se recharge et permet de lancer une attaque correspondant à la mana de son combattant. Si vous n’avez que trois points de mana, vous ne pourrez pas attaquer avec un personnage en nécessitant cinq, par exemple. Il faudra donc être quelque peu stratège pour se réserver au tour prochain, attaquer le Champion de l’adversaire ou bien défendre le sien. Il existe des cartes de type « objet », permettant d’utiliser des capacités spéciales comme le fait de faire revenir son dernier combattant déchu de la pile de défausse ou d’obliger l’adversaire à se séparer d’une ou plusieurs cartes. Dans sa conception, Cardrottini ne saurait prétendre à inventer quoi que ce soit, s’inspirant des grands classiques du genre. La seule particularité étant que si l’attaque sur les combattants est limitée par les points de mana, celle sur le Champion peut être effectuée par plusieurs personnages à la fois.
S’attaquer au champion n’a pour unique effet que de lui faire perdre sa barre de PV. Il ne peut pas battre en retraite, ni se défendre ou combattre. Il subit simplement. Évidemment, placer des combattants sur le banc forcera l’adversaire à s’y attaquer en priorité et à vous offrir du sursis bienvenu. La souris seule suffit à jouer : d’un simple glissement, il est possible d’attaquer ou de choisir ses cartes. Une simplicité d’utilisation qui rappelle bien entendu les grands classiques des jeux de cartes du genre comme le Solitaire ou le Black Cell. Au-delà de l’aspect combattif du titre, une section dédiée à la collection de cartes existe et vous permettra de compléter votre deck. Des cartes bloquées ne le seront plus après échange de la monnaie en jeu, que l’on remporte en cas de victoire sur l’adversaire. Malgré la disponibilité du jeu, le mode multijoueur reste désespérément vide, il faudra donc davantage compter sur les joutes en solo… Face à l’IA. Le développeur promet un jeu chaotique, suivi dans le temps, saisonnier et sans méta. Dans les faits, c’est un petit jeu sympathique et divertissant, mais à l’image de la technologie qui se cache derrière l’univers dépeint : glacial.







Diagnostic final
« No, no, la polizia, nooooo... »
Sans doute par facilité, Don Bobritto a probablement vu une opportunité de se lancer dans la création d’un jeu vidéo porté par un phénomène de société. De mémoire, il s’agit d’une première depuis l’émergence de l’IA sur les internets. On savait l’outil capable de générer des morceaux entiers, plus ou moins réalistes, de jeux vidéo totalement virtuels. Cependant, s’emparer de personnage fictifs pour en faire une œuvre vidéoludique est sans doute inédit. Cardrottini a franchi le pas et propose une expérience immédiatement accessible (bien que non traduite en français) et immédiatement reconnaissable par les célèbres introductions orales en italien des brainrots. Une fois le deck entièrement complété et les quatre succès Steam remportés, il sera difficile de faire tenir le jeu sur la durée tant le tout manque d’arguments pour tenir le joueur en haleine. L’expérience n’est pas catastrophique, mais à moins d’être un inconditionnel de ces personnages à l’humour absurde, difficile de conseiller l’achat de Cardrottini autrement que pour maintenir la hype. Peut-on réellement parler de « produit officiel » alors que personne ne possède les droits sur ces générations numériques ? Probablement pas, mais viendra un jour où débarquera un clone de Super Mario avec la prochaine vague tendance créée par l’IA et la question de la sauvegarde du savoir-faire créatif se posera. En attendant, Cardrottini pose une nouvelle base qui questionnera, à n’en pas douter, d’ici à quelques années.
Constantes positives |
---|
- Un prix contenu
- Une expérience accessible
Pathologies |
---|
- Pose la question de la place de l’IA dans le jeu vidéo
- Un projet qui sent le pari… Ou la facilité
Le tampon du spécialiste
Informations complémentaires :
Type : | Horreur psychologique |
Développeur : | Don Bobritto |
Éditeur : | Bandito |
Date de sortie : | 02/06/2025 |
Version : | Fournie par l’éditeur |
PEGI : | PEGI 7 : Langage ordurier |
Temps de jeu : | 2H |
Configuration PC de test :
Processeur | Intel Core i5-9300H CPU @ 2.40GHz |
Carte graphique | NVIDIA GeForce RTX 2060 |
RAM | 16 Go DDR6 |
Support de stockage | SSD 500 Go |
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.