Les jeux édités par ARTE Interactive sont une invitation à redécouvrir le monde et des sujets de société sous un angle différent, à part. Avec Wednesdays, pas de dérogation à la règle et un thème très intimiste, voire tabou : celui des violences sexuelles commises sur mineurs. Forcément, à la lecture de ce postulat de base, on pourrait immédiatement être freiné, gêné ou refuser de subir ce que pourrait proposer ce titre. Sensibilisatrice et même libératrice sous certains aspects, l’expérience Wednesdays offre un nouveau terrain à la libération de la parole. Celle que l’on enferme dans des cercles familiaux qui parfois forment une chape de plomb lourde à porter.


Tout commence devant un ordinateur et un setup qui rappelle typiquement ceux des années 2000. Un bureau, deux enceintes, un clavier, une souris… Aucunes fioritures. Face à l’ordinateur, une silhouette à la posture désabusée se dresse. Timothée, ou Tim selon ses proches, lance une partie de son jeu préféré : Orco Park. Nous sommes alors plongés dans un univers de fête et de joie dans lequel le sympathique Orco, un orque doté de parole, nous accueille dans la bonne humeur. Ou, plutôt, se réjouit de nous revoir. Nous comprenons dès lors qu’Orco Park est un souvenir d’enfance de Tim, un jeu totem sur lequel il aimait se divertir et qu’il n’avait plus lancé depuis de longues années…

Orco nous explique comment gérer ce parc et ses particularités : construire des attractions, gérer la satisfaction des visiteurs, agrémenter les lieux de décorations originales… Tout ceci pourrait rappeler un certain Theme Park dont il s’inspire. Pourtant, Orco Park ne semble être qu’un prétexte, une illusion. Si Tim lance bel et bien le jeu, la construction du parc est en réalité métaphorique et lui permet de se remémorer certaines scènes-clé de son enfance. De celles qui déterminent le parcours de vie d’un garçon devenu adolescent, puis jeune adulte. Nous comprenons alors l’importance que revêt Orco Park pour Tim: c’est bien plus qu’un jeu, c’est une libération.

Avec l’adolescence viennent les premiers flirts et les premiers questionnements…

D’un point de vue purement technique, Orco Park se gère de manière relativement simple et à coup d’un simple clic : on nettoie les rives des déchets, on récolte des coquillages. Ces derniers permettent d’obtenir une monnaie d’échange pour construire de nouvelles attractions. Chaque attraction représente un souvenir de la mémoire de Timothée. Au nombre de dix-sept (en incluant celle de fin), elles sont elles-mêmes métaphoriques et retracent le vécu d’un destin brisé. La première nous ramène dans la maison de Paolina, la grand-mère de Tim. Alors que le téléviseur est allumé et dépeint un feuilleton à l’eau-de-rose, mamie s’endort tandis qu’un petit Timothée s’ennuie. Il ne souhaite qu’une chose : rendre visite à la maison voisine, celle de son cousin et modèle, Giovanni.

Rien ne laisse présager à ce stade ce que va vivre le protagoniste, mais on se doute instantanément que le cousin Giovanni sera le problème central de l’intrigue. Tout le questionnement de Tim en jeu reposera sur cette question simple : que se passait-il lors de ces mercredis ? Le souvenir s’arrête et nous revenons à la gestion du parc, alors qu’Orco prend davantage la place de confident plutôt que celle de guide. Pour éviter toute angoisse possible à la lecture des prochains paragraphes, sachez que les développeurs ont fait le choix de ne montrer aucune scène à caractère sexuel ou violent. Dans Wednesdays, toute la violence des situations est suggérée, jamais montrée. Un choix artistique qui est appuyé par des icônes d’avertissement au niveau des attractions et la possibilité de lire des résumés de souvenirs plutôt que de les jouer.

Deux ados typiques des années 2000…

Dans l’absolu, Wednesdays n’est pas un jeu violent visuellement, mais son sujet si sensible pourra créer un sentiment de malaise émotionnel. Tout a été fait et crée pour rendre l’expérience la plus métaphorique possible, mais lire entre les lignes pourra soulever en vous des sentiments tels que de la colère, de la tristesse, de la compassion, des larmes… Wednesdays a été classé PEGI 18 et ce n’est pas pour rien. Rares ont été les titres classés aussi hauts par l’organisme, sans montrer de manière explicite ce dont on parle. Pourtant, au fur et à mesure que l’on avance avec Timothée dans les méandres de son parcours de vie, de ses souvenirs et de ses pensées, on comprend à quel point il est nécessaire de parler.

Wednesdays a forcément été un défi créatif pour ses développeurs. Comment rendre artistique un sujet de société encore tabou et face auquel les victimes ont peur de libérer la parole ? Les artistes Exaheva (Mekka Nikki, Still Heroes), Pierre Corbinais (Haven, Road 96: Prologue, Bury Me, My Love) et le studio de développement The Pixel Hunt (There Is No Game: Wrong Dimension) ont trouvé des astuces simples, mais clairement efficaces : différencier les personnages en souffrance en les représentants avec des têtes cubiques, anonymes, mais également en ne faisant pas de Timothée l’acteur principal de sa propre vie.

Orco Park donne accès à 17 attractions, autant de souvenirs vécus par Tim

Ce dernier n’a aucune ligne de dialogues contrôlée, ce sont ses proches qui choisissent (le joueur, par extension) comment mener les discussions. Les développeurs justifient ce choix par l’empathie et la compréhension : qu’auriez-vous dit et fait pour entendre et comprendre la parole d’une personne que l’on aime et qui lutte face à ses angoisses passées ? Timothée pourrait être n’importe qui et le choix artistique de la dessinatrice Exaheva d’en faire un personnage cubique, reflet de sa personnalité, renforce ce sentiment. Cela questionne également sur l’image que l’on peut renvoyer et le renfermement sur soi quand on ne sait pas comment parler…

En jeu, Timothée veut montrer l’image d’une personnalité forte, qui n’a pas été atteint par ce qu’il a vécu. Pourtant, revivre ses mémoires (dans le désordre) permet de voir sa prise de conscience progressive face au drame de ces mercredis. Des échanges forts, comme ceux avec sa mère, son grand-père ou sa meilleure amie, montrent qu’il doute et se cherche dans un passé qui le hante. Un passé qui ressurgit très vite, lorsque l’on apprend le décès de sa grand-mère. Savait-elle quelque chose ? L’a-t-elle suffisamment protégé lorsqu’il lui rendait visite le mercredi ? Timothée doute et veut savoir pourquoi. Pourquoi Giovanni s’est comporté ainsi, pourquoi il est le seul à ressentir le poids de ce silence et pourquoi sa vie n’est faite que de questionnements. Votre mission sera de le faire parler et de porter avec lui le poids de ce fardeau. Car voilà l’objectif réel de Wednesdays : libérer la parole.


Pour aller plus loin…

Afin de sensibiliser davantage les joueurs, l’équipe de développement a mis en ligne, via le site Picrew, un éditeur d’avatar personnalisable. Reprenant les codes graphiques de l’autrice Exaheva, il permet de créer un double de vous-même au format cubique. Ainsi, à l’image de Timothée, vous pourrez faire refléter votre personnalité intérieure avec un outil très sympa et ludique. Le tout est accessible gratuitement à cette adresse et est totalement libre de droits d’utilisation.




Et si la vie était aussi douce qu’un épisode de Parker Lewis ne perd jamais ? Cette célèbre sitcom des années 90 est un modèle pour Timothée. Son accoutrement s’inspire d’ailleurs directement du personnage principal de ce lycéen, plutôt cool et bien entouré de sa bande de potes. Là encore, c’est un choix très métaphorique pour Tim, qui vit quelque part dans une forme idéalisée d’un passé qui le hante, en réalité. La « cool attitude » dégagée renferme une blessure qui, elle, ne se montre pas aux autres. Wednesdays veut faire prendre conscience au joueur de l’importance de libérer la parole et surtout du poids que le silence impose. Un message à vocation pédagogique et sensibilisatrice que Pierre Corbinais, directeur de la création et scénaristique de Wednesdays décrit ainsi : « J’ai à cœur de créer une œuvre, mais avec la volonté de sensibiliser les joueurs. L’inceste est un des rares sujets où la simple prise de parole constitue déjà une avancée. Je l’ai constaté autour de moi : l’effet est immédiat. » On ne saurait mieux conclure ce test.


Constantes positives

  • Une direction artistique sublime
  • Un titre à vocation pédagogique
  • Orco !

Pathologies

  • Une expérience très (trop) courte

Le tampon du spécialiste


Informations complémentaires :

Type :Fiction interactive
Développeur :Pierre Corbinais, Exaheva, The Pixel Hunt
Éditeur :ARTE Interactive
Date de sortie : 26/03/2025
Version : Fournie par l’éditeur
PEGI :PEGI 18 : Violence, Sexe
Temps de jeu : 4h

Configuration PC de test :

ProcesseurIntel Core i5-9300H CPU @ 2.40GHz
Carte graphiqueNVIDIA GeForce RTX 2060
RAM16 Go DDR6
Support de stockageSSD 500 Go
Plateforme de jeu : Steam

par

Avatar de Davcotron

Commentaires

Laisser un commentaire