Saviez-vous que Bonaparte a bâti son empire en utilisant d’ingénieux méchas à la pointe de la technologie ? Rassurez-vous, malgré vos souvenirs lointains des cours d’Histoire, l’empereur des Français n’a jamais combattu à dos de robot géant. Cette réalité alternative, c’est le Studio Imugi qui la propose avec son premier titre : Bonaparte – A Mechanized Revolution.
Composé de vétérans de l’industrie, Studio Imugi c’est d’abord la rencontre de Martin Brouard et de Jongwoo Kim. Le premier a fondé le studio à l’origine de l’acclamé Sea of Stars, tandis que le second est l’un des auteurs à qui l’on doit The Shrouded Isle. Autant dire que lorsque deux poids lourds du jeu indépendant travaillent main dans la main pour lancer un projet après trois ans de développement, on ne peut que l’attendre avec impatience au bloc opératoire, bistouri à la main, pour le disséquer.
Un jeu sur Napoléon, vraiment ?
Le fruit de cette collaboration s’articule donc autour d’une Histoire bien lointaine, eu égard à leur nationalité canadienne : celle de la Révolution française ! Drôle de choix de prime abord, mais la figure de Napoléon Iᵉʳ fascine bien au-delà de l’Hexagone pour que son parcours ne soit la propriété que d’une seule nation. Dans leur récit, Napoléon Bonaparte n’est pas, il s’agira d’incarner un personnage inspiré du célèbre ajaccien de naissance : le jeu vous propose d’emblée d’opter pour Céline ou César Bonaparte. Les deux protagonistes, fictifs, s’inspirent toutefois de l’illustre et clivante figure à laquelle ils empruntent le patronyme, le temps d’un jeu vidéo de stratégie au tour par tour.
Des jeux s’inspirant du Premier Empire, on peut en compter plusieurs. Comment ne pas penser au célèbre Napoléon : Total War de SEGA (2010) ou encore à L’Aigle de Guerre (2001), la version de poche des batailles napoléoniennes ? C’est d’ailleurs plutôt vers ce dernier que lorgne Bonaparte – A Mechanized Revolution. Ici, pas de créatures fantastiques comme le proposait la cartouche Game Boy Advance, mais quelques libertés avec le récit officiel. Le choix d’un personnage « neutre » n’est d’ailleurs pas anodin de la part des développeurs, qui souhaitent plonger le joueur dans la peau du futur empereur pour faire « à sa place ». En effet, tout le postulat de départ du Studio Imagi repose sur une seule question : et vous, qu’auriez-vous fait si vous aviez été Napoléon Bonaparte ?
Façonner le Royaume selon ses idéaux !
Première coquetterie du titre : l’époque choisie. Rares sont les médias s’intéressant à la carrière de Bonaparte avant que celui-ci n’accède au pouvoir. Ici, votre personnage est Capitaine de la Garde Royale, en pleine période révolutionnaire. Le Roi vous ordonne immédiatement d’aller sur le terrain afin de mater la colère naissante de la rue, après la convocation des États Généraux. On est alors invité à s’exprimer sur le premier choix du jeu, à savoir privilégier sa carrière ou sa loyauté au souverain. Des décisions, vous aurez à prendre régulièrement, car elles font partie d’un processus vous demandant d’être à la fois chef de guerre, stratège et diplomate.
Le titre proposera des embranchements qui détermineront le meneur que vous serez et la direction que vous donnerez à ce royaume en perte de repères. Les développeurs ont savamment introduit des aspects et considérations politiques, sur lesquels vous serez amené à vous exprimer. La première bataille s’ouvre d’ailleurs sur un choix cornélien : prouver votre loyauté au Roi en défendant la prison de la Bastille du vandalisme ou rejoindre les troupes populaires menées par votre frère, Lucien. La démo est assez restrictive, puisqu’elle oblige le joueur à délaisser Son Altesse Royale au profit des gueux remontés et décidés. On passera sur le réalisme de la situation, Napoléon Bonaparte ayant été un soldat du Roi, avant toute autre chose.
Un gameplay éprouvé, mais efficace
En parlant de réalisme, la démo que nous avons eue en main permet justement de mettre en avant de jolis tableaux aux semblants d’aquarelle. Le titre y trouve un véritable cachet, sans tomber dans la surenchère visuelle. L’écran-titre se pare d’ailleurs d’un bel encadré mettant en avant Céline et César, entourés de figures historiques réelles telles que Louis XVI, le marquis de La Fayette, Robespierre ou encore Danton. Afin d’accentuer l’effet dystopique de la situation, les développeurs ont introduit des méchas en jeu.
Sans doute dans le but de ne pas rendre l’expérience trop proche de la réalité, précisément. S’engage alors le premier combat, avec notamment l’utilisation du Colosse. Peut-être est-ce une mode qu’a lancé le jeu Steelrising lors de sa sortie en 2022, mais il semblerait que rendre la Révolution française bien plus technologique qu’elle ne l’était a le vent en poupe. Le Colosse est donc l’incarnation mécanique et robotique d’un super-soldat, composant le cœur névralgique de vos troupes. Ses mouvements plus amples et ses attaques plus ravageuses sont un sacré atout en combat, mais notre golem de métal n’est pas invincible pour autant. Et heureusement, sans quoi l’intérêt stratégique aurait perdu de sa valeur.
Tout est jouable à la simple souris, sans mobiliser le clavier. Chaque action s’effectue d’un simple clic et une ellipse temporelle permet même d’avancer le temps afin de zapper quelques animations parfois longuettes, notamment entre deux tours de jeu. Avec une maniabilité aussi accessible, on peut en effet combattre avec des unités incluant des soldats comme des paysans. Le gameplay sera identique. Un éclectisme appuyant l’état de désordre dans lequel se trouve le royaume de France au moment où vous prendrez parti pour votre frère. Vous pourrez bien entendu recruter de nouvelles factions, ainsi que divers lieutenants, afin de composer votre armée et la rendre la plus efficace possible. Efficace ? Mais dans quel but ?
De quel bord politique êtes-vous ?
C’est là que le jeu prend un tournant original pour un titre dédié à la stratégie : vos choix détermineront votre faction d’appartenance. Ainsi, vous pourrez rejoindre les Modérés du marquis de La Fayette, héros de la guerre d’Indépendance des Etats-Unis, les Jacobins menés par Maximilien de Robespierre ou les Royalistes du Comte d’Artois, fidèles à Louis XVI. Chaque faction présente des sous-branches avec lesquelles il est possible de discuter ou de négocier, mais tout choix a des conséquences : trahir le Roi, c’est d’emblée se voir refuser l’accès aux Monarchistes.
Au-delà de l’aspect purement stratégique, c’est aussi un talent de politicien que l’on vous demandera de mettre en avant, selon vos idéaux. Si les Modérés sont favorables au maintien d’une monarchie réduisant le pouvoir du Roi, les Jacobins projettent de donner les pleins pouvoirs au peuple, tandis que les Royalistes souhaitent le maintien d’un statu quo pré-Révolution. Tout est question d’idéaux et de sensibilité politique afin de refaçonner cette époque troublée selon votre vision du Royaume de France.
Construire les prémices de l’Empire
Pour pouvoir gouverner et faire de votre Bonaparte celui qu’il est amené à devenir, il va falloir rallier du monde à vos côtés. Le Royaume est donc fidèlement découpé en départements, nouvellement crées par l’Assemblée Nationale Constituante de septembre 1789. Vous trouverez donc une carte de la France dans son ensemble, telle qu’elle fut quelques mois après son nouveau morcellement territorial.
À l’exception des Comtés de Nice et de Savoie, pas encore rattachés aux frontières françaises, c’est l’absence notable de la Corse qui fera un peu tache dans cette France révolutionnaire. Son absence se justifiera probablement par une histoire à part, plus tournée vers un début d’indépendance et d’enjeu européen, mais il aurait été appréciable de la rendre « jouable », d’autant qu’il s’agit du lieu de naissance du principal protagoniste. Au-delà de cet oubli, l’ensemble du territoire peut être conquis et rallié à la cause que vous mènerez, l’onglet Convention vous permettant même de gagner des voix, de participer aux débats et de gagner en influence. Que vous choisissiez de rejoindre les Modérés ou les Jacobins, votre sous-faction primera et serez reconnus en tant que Bonapartistes.
La diffusion de propagande sera primordiale avant d’attaquer un territoire puisque vous l’affaiblirez de ses forces ennemies. Tout est question de dosage et d’un brin de malice, comme dans le monde de la politique réelle. La partie se terminera après avoir atteint deux objectifs : rallier l’ensemble des territoires du Royaume à votre cause ou se défaire de l’ensemble de vos ennemis. En revanche, perdre Paris ou ne plus avoir d’alliés bonapartistes vous infligera une défaite immédiate. Garder la capitale sous votre influence, c’est garder le royaume post-révolutionnaire.
Un titre à l’image des politiciens : un potentiel perfectible
Bonaparte – A Mechanized Revolution est un titre plutôt original dans son approche. Le savant mélange entre politique et stratégie militaire a de quoi déployer un potentiel assez intéressant sur le long terme. À condition que les choix aient de réelles conséquences, car, à part quelques bloquants, comme le fait de trahir le Roi, ce ne sont ni le personnage, ni d’autres choix effectués qui ont semblé affecter l’expérience en jeu de cette version de démonstration.
D’une durée d’environ 2h, elle permet d’évoluer sur une période allant de la convocation des États Généraux au combat contre le Roi, alors qu’il tente de fuir une situation qu’il n’accepte pas. L’utilisation ou la justification des Colosses n’est pas non plus très pertinente à l’heure d’écrire ces lignes. Le jeu proposera peut-être un rôle majeur à ces méchas dans la version complète, mais il paraît évident que la simple dystopie politique et le façonnage libre du territoire auraient pu se suffire à eux-mêmes, offrant ainsi un peu plus de réalisme au tout. Quid également de l’avenir de notre personnage ? Si plusieurs éléments semblent indiquer de mener notre Bonaparte au pouvoir, rien n’indique que le jeu puisse proposer une expérience permettant de le voir prendre le trône du futur Premier Empire.
Au-delà de ces questions en suspens, A Mechanized Revolution est un titre agréable à jouer, grâce à des mécaniques de jeux éprouvées mais efficaces, des graphismes colorés sans être tapageurs et une ambiance sonore globale, convaincante et immersive. Il faudra attendre la version complète du jeu, prévue pour le premier trimestre de l’année 2025 sur PC, pour se rendre compte de tout le potentiel qui sera offert au joueur et rendre au Royaume de France sa stabilité. Comme quoi, malgré un décor d’époque, cette question pourrait encore être d’actualité, plus de 200 ans après.
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