Créé en 2016 par deux passionnés, le studio Rundisc avait fait ses premières armes avec Varion, un jeu d’action multijoueur sur PC et Switch. Pour son second projet, l’équipe toulousaine a créé un univers beaucoup plus contemplatif et mystique, plaçant le vocabulaire au centre d’un gameplay qui met les méninges à contribution.
Un invité surprise ?
“Un escalier de pierre, un couloir étroit et obscur. Au fond de ce couloir, un mur effondré, d’où nous parviennent les accords d’une musique, qui en ce lieu paraît irréelle.”
Si ces lignes peuvent rappeler aux plus vieux ce sample kitch utilisé dans l’intro d’un titre mythique de IAM, les plus pointilleux auront décelé de subtiles “erreurs”. Elles permettent de poser clairement la situation de départ de Chants of Sennaar et de présenter le cœur de son gameplay. Nous incarnons une mystérieuse silhouette encapuchonnée apparue au fond de ce qui a l’air de ressembler à un temple, via un sarcophage. Ou est-ce un ascenseur ? Mystère. Ses pas résonnent dans des couloirs cyclopéens alors qu’elle gravit les marches la menant à l’extérieur de l’édifice.
Rapidement, un premier dispositif se présente à elle, orné de bien curieux symboles, permettant d’actionner une porte… Leur sens profond nous échappe un court instant, mais cela fait partie de l’expérience si particulière du titre. Le sens de la déduction est ici grandement à l’honneur.
Jouer avec et sur les mots
Le puzzle suivant réutilise les mêmes pictogrammes et permet ainsi de confirmer les soupçons et suppositions. Il est possible d’annoter chacun de ces symboles dans un petit carnet fort pratique pour leur allouer une signification temporaire plus ou moins précise et parfois même erronée, ce qui mène à des situations cocasses. La rencontre avec un premier personnage initie ainsi une communication basique où tout le charme consiste à comprendre ce qu’il demande. Quelques écluses manipulées plus loin pour faciliter le passage de nos pèlerins, notre hôte ouvre une porte vers la suite de l’histoire.
Nous passons devant plusieurs fresques ornées d’idéogrammes supplémentaires avant d’arriver sur une place relativement animée. Un joueur de bonneteau local permet de se familiariser avec la hiérarchie en vigueur dans la ville. Brillant. De fiers guerriers interdisent l’entrée d’un édifice apparemment religieux, mais c’est en suivant un jeune individu qui se veut discret que nous avançons par des chemins de traverse dans l’aventure, bien plus complexe et profonde qu’elle n’y paraît de prime abord.
À certains moments clés, il est possible de confirmer nos suppositions linguistiques en associant les différents idéogrammes récoltés à de fort jolis croquis griffonnés au fusain. Le sens caché s’éclaire alors et toutes les occurrences des symboles sont alors automatiquement “traduites”, facilitant de même la compréhension de nos interlocuteurs et des multiples inscriptions rencontrées. Si ces étapes ne sont pas obligatoires, il est cependant conseillé de les réaliser le plus rapidement possible, car les différents symboles rencontrés pullulent rapidement. Ce mix entre puzzle-game et remue-méninge linguistique est tout simplement fabuleusement addictif.
My Sennaar is rich !
La construction de l’histoire autour de la compréhension de l’écriture de dialectes, inspirés entre autres de cultures latines, mésopotamiennes ou orientales, représente un véritable tour de force. Car chaque groupe d’habitants de ce qui ressemble à une tour géante très “biblique” possède ses coutumes, croyances et architecture, qui influencent leurs modes de communication.
Certains glyphes peuvent être traduits d’un système à l’autre (ce qui sert pour se déplacer plus rapidement au fil du jeu) alors que d’autres sont uniques. De la même manière, plusieurs subtilités grammaticales sont gérées diversement selon les autochtones côtoyés. Le travail réalisé est titanesque, pour un corpus qui reste néanmoins très ludique à manipuler.
L’influence graphique de Jean Giraud aka Mœbius est ici flagrante et assumée, parmi celles d’autres ténors du 9ème art européen. La taille de l’équipe ne permettait pas de réaliser des prouesses visuelles, mais la patte de Chants of Sennaar n’en est que plus puissante. La ligne claire et le tramage offrent un rendu époustouflant. Les formes sont simples, la visibilité toujours excellente et la rencontre avec chaque nouvelle culture pose immédiatement une identité forte et parfaitement reconnaissable.
La bande-son utilisant des instruments traditionnels concourt à l’ambiance mystique du titre, mais est malheureusement trop peu présente. Le seul point négatif à soulever serait peut-être les séquences d’infiltration, qui ne laissent pas la place à l’erreur, mais ne sont absolument pas punitives.
Pour le reste, on peut vous l’assurer : “tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté”. Et surtout, gardez-vous bien de céder à l’appel criminel de la “soluce facile”, Chants of Sennaar se parcourt fort bien, uniquement armé de son cerveau et pour une satisfaction maximale.
Notre ressenti : Encore mieux que la méthode Babbel !
Niveau d’attente
Brulant
Chants of Sennaar est bien plus qu’un simple jeu : c’est une expérience presque mystique, qui nous ramène aux origines de la communication et des cultures. Mêlant le profane et le sacré dans cette quête de compréhension et d’élévation, il n’est jamais avare dans les émotions qu’il procure.
La direction artistique du titre, si particulière dans ses choix, au carrefour des influences ethniques, transforme cette aventure linguistique et anthropologique en un souvenir vidéoludique puissant, aussi indélébile que ses idéogrammes gravés dans la pierre.
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