L’Empire renaît de ses cendres ! Enfin, pas tout à fait. Bonaparte : A Mechanized Revolution c’est une certaine représentation de la période révolutionnaire qu’a connu notre bonne nation française et un jeu tactico-politique mettant en avant les forces pensantes de l’époque. Outre cet aspect stratégique, l’originalité du titre provient de la présence de mechas, ces robots géants à forme humanoïde d’inspiration japonaise que l’on voit davantage dans des jeux comme Zone of the Enders, Titanfall ou Armored Core. Ici, il ne s’agit pas de les contrôler, mais d’en faire un atout tactique sur le champ de bataille. Après la preview, que nous avons eu l’occasion d’essayer en octobre 2024, Studio Imugi déploie cette fois un accès anticipé à quelques mois théoriques de la sortie définitive. Une version qui permet de s’essayer à environ deux tiers de la campagne et à toutes ses fonctionnalités. Prêts à mener votre propre Coup d’État ?

Un premier choix sans conséquence, uniquement cosmétique

« La vraie sagesse est de savoir quel est le prochain pas ; la vertu, c’est d’exécuter ce pas. »

Alors que la précédente version de démonstration ne donnait qu’un aperçu des possibilités offertes en jeu par Bonaparte : A Mechanized Revolution, cette fois ce sont l’ensemble des caractéristiques disponibles qui s’ouvrent aux joueurs faisant l’acquisition de cette « démo étendue ». L’accès anticipé est une forme de plus en plus courante de lancer un jeu avant sa sortie définitive, et ce, dans le but de trouver des axes d’amélioration et de rendre l’expérience finale bien plus aboutie. Studio Imugi a opté pour cette formule, se laissant une marge de six mois avec les retours de joueurs pour chercher à peaufiner son bébé. Le premier. Pour rappel, le studio québecois a été fondé par Martin Brouard et Jongwoo Kim, des vétérans de l’industrie. 210 ans après la fin du Premier Empire et une demie-année après avoir testé la démo, où en est Bonaparte : A Mechanized Revolution ?

Il faut premièrement replacer le contexte en jeu : nous sommes à la toute fin du règne de Louis XVI, au cœur d’un Royaume de France criblé de dettes suite à des guerres couteuses, étouffé par des taxes perçues comme injustes et dirigé par un monarque fébrile. Un ensemble fragile qui s’est fragmenté à la convocation des États généraux par le Roi, en mai 1789. Cette assemblée extraordinaire, réunissant toutes les franges de la société d’Ancien Régime, n’avait plus été appelée à se former depuis près de deux siècles. Un véritable aveu d’échec pour Louis XVI, contraint de trouver des solutions pour redresser la fiscalité déficitaire du royaume, mais également les prémices d’un mouvement qui aura des répercussions majeures sur l’avenir de la France. Ce que l’on a appelé la Révolution française a démarré et a façonné de nombreux destins. Dont un, mettant un terme à près de 10 ans de troubles.

Louis XVI convoque les États Généraux. Il scelle alors son destin… Ou pas !

Napoléon Bonaparte était déjà lieutenant durant la Révolution française et c’est en tant que soldat gravissant les échelons qu’il vit cette période. Alors que la nation se déchire, il voit son avenir chamboulé au fil de ses réussites militaires. Malgré le titre du jeu, Bonaparte : A Mechanized Revolution n’est pas un énième simulateur des conquêtes napoléoniennes. Il s’agit d’un titre stratégico-politique s’intéressant au façonnement de ce destin extraordinaire, pur produit révolutionnaire, qu’est la vie de Napoléon Bonaparte. Afin de s’approprier cette destinée, les développeurs de Studio Imugi ont fait un choix fort : celui de ne pas l’incarner. D’emblée, le joueur pourra donc, au choix, devenir Céline ou César Bonaparte. Véritable métaphore de la vie de Napoléon, ce couple de protagonistes fictifs permet aux joueurs de « prendre la place » du futur Empereur des Français. Et vous, qu’auriez-vous fait durant la Révolution ?

C’est en substance ce que propose Bonaparte : A Mechanized Revolution en « effaçant » l’existence de Napoléon Bonaparte. Le terme n’est d’ailleurs pas approprié, puisque les personnages clés de son histoire en période révolutionnaire, ainsi que les dates, correspondent bien aux faits historiques. Cependant, ne pas imposer de le jouer directement offre une expérience très intéressante au cœur du mouvement bonapartiste naissant. En jouant Céline ou César, ce sont d’abord vos actions et vos choix qui détermineront le futur de la nation française post-Révolution. Les divisions politiques étaient fortes et les prises de position n’étaient pas sans conséquences. Très vite, il sera demandé de faire un choix entre trois factions : les Jacobins de Maximilien Robespierre, les Modérés du Marquis de La Fayette ou les Royalistes du Comte d’Artois. Chacune de ces entités ayant sa propre vision de la France.

Les Modérés offrent l’expérience la plus équilibrée en jeu

« La victoire appartient à celui qui a la persévérance la plus longue. »

Le tutoriel apprend les bases du combat alors que la Bastille, la célèbre prison de l’Ancien Régime, s’apprête à être assiégée par la foule le 14 juillet 1789. Notre Bonaparte fictif est envoyé pour conscrire le mouvement… Ou y participer ! Tandis que la démo ne permettait pas de prêter allégeance au Roi, la curiosité pousse cette fois à emprunter la voie royaliste, la plus difficile. Bien qu’il n’existe pas de niveaux de difficulté en jeu, les factions ne présentent pas les mêmes caractéristiques et faire le choix de soutenir Louis XVI est forcément une bataille de tous les instants. En se rapprochant des Royalistes, Bonaparte se pare d’un costume de couleur blanc et or, rappelant évidemment les codes royaux. Pousser les curseurs pour le maintien d’un statu quo avec une monarchie absolue et un roi tout-puissant demandera bien d’être élégant, car les coups bas ne le seront pas.

Bonaparte : A Mechanized Revolution se compose de plusieurs phases : la première ressemble à un jeu de conquête territoriale, durant lequel il s’agit d’étendre son influence militaire, puis politique, sur les départements nouvellement créés. La seconde consiste en un pur jeu de stratégie au tour-par-tour, durant lequel il faudra composer avec les forces en présence et vaincre son adversaire. La troisième, enfin, est un simulateur politique durant lequel il faut faire entendre sa voix et proposer des réformes majeures pour la nation. Assez minoritaire après les troubles révolutionnaires, la faction royaliste est à réserver aux joueurs aguerris et aux fins politiciens, qui auront du mal à se faire entendre tant l’autorité de droit divin est menacée. Le challenge n’est pas impossible, mais se ranger aux côtés de Louis XVI proposera probablement l’expérience la plus délicate. Qu’en est-il des autres ?

Perdre Paris, c’est faire tomber les Bonapartistes aux oubliettes. Game Over !

En relançant une partie, notre Bonaparte se rallie cette fois au peuple, mené par les discours engagés de Robespierre et de Danton. Ici, pas de bicorne caractéristique du personnage et symbole d’une forme de bourgeoisie, voire d’aristocratie, mais une tête nue et une écharpe autour du cou qui pourrait masquer le visage et rappelant ces mouvements politiques humanistes. Pas de doute, nous sommes chez les « rouges » ! Cette faction est très populaire et pourra être un bon point de départ pour se lancer dans la narration. Attention toutefois, les unités de cette faction ont beau être nombreuses, certaines seront forcément moins puissantes, dû au fait qu’il s’agit du peuple prenant les armes. À savoir que les choix politiques des Jacobins et leurs réformes feront augmenter le score de Terreur, donc de conflit au sein de la nation. À l’instar des Royalistes, rallier les Jacobins demandera quelques concessions.

Finalement, la voie la plus naturelle et l’expérience la plus réaliste d’ailleurs, sera celle proposée par les Modérés. Plus proche de la réalité historique vécue par Napoléon Bonaparte, cette faction entend mettre la nation au-dessus de tout et préserver le système en le remodelant. Il faut savoir que faire le choix du peuple ou du Roi vous privera forcément d’une alliance entre Jacobins et Royalistes, bien trop opposés d’un point de vue politique. Seuls les Modérés pourront sceller une alliance solide avec l’une ou l’autre entité pour défaire la troisième. À sa tête, on y trouve des personnages comme le Marquis de La Fayette, héros de la Guerre d’Indépendance des États-Unis d’Amérique ou Philippe Égalité, le sulfureux cousin du roi Louis XVI se rêvant lui-même à la tête d’une monarchie constitutionnelle. Tous ces personnages, Napoléon Bonaparte les a côtoyés de près ou de loin lors de son existence.

La Convention Nationale est un moment de débats houleux sur fond de propositions de loi

« La bonne politique est de faire croire aux peuples qu’ils sont libres. »

Le choix de la faction est déterminant pour la suite de votre aventure dans Bonaparte : A Mechanized Revolution. À plusieurs reprises, il vous sera demandé de prendre position lors de cutscenes passionnées ou les protagonistes échangent sur les évènements se déroulant dans le royaume vacillant. Prendre le commandement des troupes, défendre les frontières face aux Autrichiens, décider de la sentence pour Louis XVI… Le joueur est souvent amené à s’exprimer entre deux tours de jeu pour façonner sa propre vision de la Révolution française et de son devenir. Studio Imugi ne veut pas vous faire vivre la vie de Napoléon Bonaparte, mais la réécrire. Pour ce faire, la phase de combat tactique est essentielle : à l’image du jeu de plateau Risk, étendre son influence est déterminant pour obtenir davantage de soutien. La carte de France permet donc de déplacer ses unités, de reprendre des territoires perdus, de développer l’économie ou de diffuser de la propagande.

Chaque combat peut être effectué manuellement ou s’auto-résoudre, avec un indice préalable de réussite probant, indiquant vos chances. Gagner un territoire, c’est permettre d’accroître vos ressources (finances, influence, Colosses) et d’étendre votre vision de la société. Donc, d’obtenir plus de voix lors de la Convention Nationale. Ancêtre de l’actuelle Assemblée Nationale, cette réunion des forces politiques naissantes se rassemble tous les trois tours de jeu et définit les axes à suivre, ainsi que les lois à soumettre au vote. Les thèmes sujets à débat sont imposés, comme la participation politique, la liberté d’expression ou les droits de propriété. Parmi ces thèmes, le joueur peut en sélectionner un seul, le proposer à la Convention et voter. Si les chances de réussite sont minces, alors il sera possible de négocier occasionnellement contre un échange de ressources, scellant une alliance temporaire.

« Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. »

S’il existe bien trois factions en jeu, une quatrième est incarnée par votre Bonaparte et cherche à se faire sa place tout au long de la narration. Les Bonapartistes offrent une vision globale, à cheval entre la puissance d’un monarque au service de sa nation et de son peuple. Une vision incarnée par Napoléon Bonaparte et née du tumulte révolutionnaire, quand la France cherchait sa nouvelle voie. Plus discrète, car inexistante au moment des faits dépeints en jeu, elle est la seule pouvant amener au game over. Le but de Bonaparte : A Mechanized Revolution est évidemment de la développer au point de l’amener à diriger la France post-révolutionnaire, c’est pourquoi perdre Paris vous fera rendre les armes. Les trois autres factions sont en réalité ici pour sublimer la quatrième, la vôtre. C’est là tout l’intérêt du message porté par ce titre : vous faire sortir du lot.

Dans toute cette frénésie politique, seuls les combats semblent en deçà du reste de l’expérience proposée par Bonaparte : A Mechanized Revolution. Si les mechas sont une composante importante du jeu, ils n’apportent pas grand-chose à la narration, ni au combat tactique. Ces robots géants ne sont en réalité rien de plus qu’une coquetterie des développeurs pour appuyer leur vision fantaisiste de l’époque. Le personnage que vous incarnez le dit à maintes reprises d’ailleurs : ils ne sont pas essentiels à la victoire. Comme si Studio Imugi reconnaissait à demi-mots que leur présence n’est pas essentielle… Il aurait été plus intéressant de proposer des batailles à plus grande échelle (maximum 10 unités), plutôt que ces Colosses qui ne rentrent pas dans la narration. Ils sont simplement là. L’avantage majeur de leur présence est le côté « appât », puisque les troupes adverses se focaliseront majoritairement sur eux, lors de leurs attaques.

Remporter des voix, étendre son influence… Gouverner !

L’aspect combat n’est clairement pas le point fort de Bonaparte : A Mechanized Revolution alors que les biomes d’affrontement sont souvent conçus comme un contexte très urbain avec des obstacles alambiqués qui n’apportent pas forcément de gain sur l’aspect stratégique du jeu. Les batailles auto-résolues sur la carte de France sont bien plus palpitantes, car elles garantissent un effet de gagne-terrain assez prenant, le tout porté par une bande-son discrète mais relativement grisante, bien que répétitive.

Malgré cette petite déception sur la phase de combat à l’échelle micro, on peut saluer la simplicité au niveau de la jouabilité, puisque tout est accessible à la souris et les mouvements se font de manière très fluide. Arriver aux deux tiers de la campagne est donc frustrant et donne envie d’aller plus loin, mais rappelle que tout ce qui touche à Bonaparte est court, mais intense. À l’image d’un règne impérial écourté par la folie des grandeurs…

Ah… On remet la révolution à plus tard ?


Notre ressenti : « Le courage n’est pas d’avoir la force de continuer, c’est de continuer quand on n’a pas de force. »

Niveau d’attente

Tiède


Bonaparte : A Mechanized Revolution rassemble les mêmes points forts et faibles que lors de notre preview d’il y’a quelques mois. On y trouve un jeu politique passionnant, dans lequel les stratégies à adopter pour gagner de l’influence sur les territoires du royaume de France en perdition donne lieu à un façonnage personnel, intime, selon ses propres convictions. Les développeurs ont su percevoir le tiraillement social de la France révolutionnaire et des factions prêtes à tout pour imposer leur vision. Toutefois, l’aspect combattant du jeu manque encore de punch et l’emploi des Colosses n’est toujours pas pertinent… Il faut davantage considérer leur présence comme une pure fiction que comme un véritable atout à mettre en avant. Etonnant, d’autant que le titre du jeu ne laisse aucun doute sur leur présence. Lire votre personnage dire qu’ils ne sont pas déterminants pour la victoire ou qu’ils ne sont qu’une fantaisie surprend même. Etaient-ils bien nécessaires ? Hormis ce questionnement, Bonaparte : A Mechanized Revolution est un jeu très agréable à prendre en main et redémarrer la campagne avec tous les choix possibles est plaisant. Arriver aux deux-tiers de la campagne et ne plus pouvoir l’avancer est quelque peu frustrant, mais cela laissera le temps nécessaire à Studio Imugi pour peaufiner leur titre, déjà magnifié par un visuel plus convaincant et des tuiles plus attrayantes à l’oeil. L’accès anticipé de Bonaparte : A Mechanized Revolution est disponible un 21 mai, une date qui résonne étrangement pour les plus attentifs des historiens amateurs : en 1813 elle fut synonyme de victoire à la bataille de Wurschen, mais quelques années auparavant, en 1809, elle signait la première défaite majeure de Napoléon et de ses troupes à Aspern – Essling. Alors, quel avenir pour Bonaparte : A Mechanized Revolution ? Comme en politique, c’est un équilibre à trouver mais rien n’est encore fait (dans un sens comme dans l’autre), pour un jeu qui cherche encore sa voie.

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