Le Comité International Olympique définit l’olympisme comme « une philosophie qui allie le sport à la culture et à l’éducation ». Bien que les Jeux d’été comme d’hiver représentent des compétitions acharnées dans lesquelles le dépassement de soi prend le pas sur le reste, elles symbolisent aussi des valeurs à diffuser. Parmi les médias traditionnellement utilisés à ces fins, le jeu vidéo a toujours eu une place particulière et a systématiquement accompagné les athlètes en lice au travers d’itérations virtuelles retranscrivant plus ou moins fidèlement les épreuves de ces Jeux.
Atari fut l’un des pionniers dans le domaine, en dotant son modèle 2600 de cartouches dédiées aux disciplines olympiques : on pense évidemment à Video Olympics et ses variantes du célèbre Pong. Non officiel, il suit de près la fin des Jeux Olympiques d’été de 1976 organisés à Montréal. Il s’agissait déjà de se mesurer, manette en main, lors de joutes vidéoludiques intenses en mode multijoueur local. Olympic Decathlon, Track & Field… Tant de noms mythiques du jeu vidéo ont fait vibrer les foyers en parallèle des épreuves sportives mondiales. Il aura fallu attendre Olympic Gold: Barcelona ’92 sur les consoles SEGA pour que le CIO se dote de son jeu officiel. Depuis ce « père fondateur », chaque olympiade s’est vue proposer une version virtuelle d’elle-même… Jusqu’à Paris 2024.
Alors qu’il est d’usage de vouloir se procurer une copie vidéoludique des Jeux du moment pour prolonger le plaisir du fond de son canapé, une question taraude le joueur lambda en mal de challenges intenses : où est le jeu officiel dédié aux Jeux Olympiques d’été 2024 ? Ne cherchez pas plus loin : il n’existe tout simplement pas ! Ou plutôt, pas sous sa forme “traditionnelle”… Pour la première fois depuis de nombreuses années, 2008 exactement, que les Jeux Olympiques d’été n’auront pas le droit d’être (re)joués sur console. À la place, il faudra donc se contenter Olympics Go!, un modeste titre disponible gratuitement sur PC, iOS et Android. Développé par les studios nWay et Animoca Brands, ce jeu casual entend proposer des confrontations en ligne au travers de 12 épreuves inspirées de la compétition. Pourtant, rien ne semble bien excitant autour de cette licence…
Qu’il semble loin le temps où SEGA révolutionnait le genre avec Mario & Sonic aux Jeux Olympiques, la réunion improbable des deux rivaux des années 1990, les premiers héros de la « guerre des consoles », la première, la vraie. Et quoi de mieux que de réunir les univers de ces personnages emblématiques autour d’épreuves sportives estampillées « olympiques » pour savoir qui a la plus grosse (breloque) ? Une réussite totale, puisque les six épisodes que compte la franchise ont franchi le seuil des 25 millions de copies vendues à travers le monde. Toutefois, les ventes ont baissé au fil des olympiades, et si Pékin fut à l’origine d’un engouement renouvelé des joueurs pour les jeux à caractère olympique, la version Tokyo n’a plus trouvé son public. Il faut préciser que pour cette dernière édition, SEGA a décliné l’offre en deux jeux distincts : celui mêlant les univers Mario et Sonic, donc, ainsi qu’une version plus réaliste, mais néanmoins accessible. Un jeu olympique ne saurait être élitiste.
Quoi qu’il en soit, SEGA a perdu la licence d’exploitation qu’il détenait et cette dernière se trouve désormais entre les mains d’une entité bien moins en vogue et peu inspirée, proposant une itération tout ce qu’il y a de plus classique pour un jeu mobile. Un choix assumé par le CIO qui, dans le cadre de son Agenda Olympique 2020 + 5, entend proposer une nouvelle dynamique s’appuyant sur 15 recommandations, parmi lesquelles : « encourager le développement des sports virtuels et s’engager davantage auprès des communautés de jeux vidéo ». L’organisme ne se cache pas du fait de vouloir rendre les valeurs olympiques, ainsi que la pratique sportive, accessibles au plus grand nombre… en s’appuyant sur l’usage numérique ! Et quoi de mieux qu’une application mobile pour susciter des vocations nomades ? La réflexion est bien entendu ironique, puisque les premiers épisodes de Mario & Sonic valorisaient le mouvement, grâce à la télécommande et au nunchuck de la Nintendo Wii. Quid du jeu sur mobile ? Peut-il réellement faire « bouger » les joueuses et les joueurs ? Un choix quelque peu incongru de la part du CIO de vouloir s’appuyer sur le numérique pour mettre en avant le physique. À moins que…
À moins que cette stratégie ne soit délibérée et que laisser le « bébé olympique » aux mastodontes Nintendo et SEGA ne soit plus dans les plans d’une organisation internationale qui entend, en parallèle, développer le sport numérique. Il est de notoriété publique que les Jeux Olympiques tentent d’intégrer peu à peu les compétitions e-sport à son catalogue d’épreuves officielles. Si Paris 2024 a bien tenté d’être pionnière en la matière, il semblerait qu’il faille attendre a minima Los Angeles 2028 pour voir les premières joutes numériques rapporter une médaille aux athlètes. En effet, les Séries olympiques d’Esports 2023 à Singapour avaient constitué un test grandeur nature qui avait fait polémique. Alors que les compétitions en ligne sont extrêmement populaires sur des titres phares comme League of Legends ou Counter-Strike, le CIO avait retenu les jeux suivants : Tic Tac Bow, WBSC eBaseball: Power Pros, Zwift, Just Dance, Gran Turismo, Virtual Regatta, Virtual Taekwondo, Tennis Clash et Chess.com. Des jeux… mobiles !
Et la boucle semble donc bouclée ! Le CIO pousse en réalité des jeux de qualité médiocre sur la scène internationale olympique, en lieu et place des grands titres compétitifs de l’industrie vidéoludique. Est-ce cohérent ? En un sens oui, car développer la compétition e-sport sous le prisme olympique donne nécessairement la priorité aux simulations sportives, auxquelles les athlètes pourraient même s’adonner en vue de s’entraîner ou de s’aligner sur de nouvelles épreuves. On a tout de même du mal à croire que Olympics Go! puisse devenir un jour la base de futurs événements sportifs virtuels, du moins en l’état. Et si l’on coupait la poire en deux en proposant au CIO de laisser aux studios majeurs le soin de développer des simulations poussées au point de pouvoir en faire des épreuves à part entière ? Des sports comme le football, le tennis ou le basket-ball pourraient aisément être représentés en compétitions par des franchises comme EA Sports FC, Top Spin ou NBA 2K, auxquels on pourrait accoler des modes de jeu « ultra-compétitifs » dédiés. Au final, reprendre la main sur les produits vidéoludiques officiels pourrait être un pari dangereux pour le CIO, qui pourrait ne pas connaître le succès attendu. Un mauvais jeu vidéo, c’est une licence obscure, un développement rapide, des graphismes peu attrayants… Mais c’est surtout le meilleur moyen de laisser une trace négative sur les Jeux.
Autrefois, le jeu vidéo « olympique » s’appréciait à plusieurs, autour d’une seule manette moite qui faisait le tour du canapé et était témoin de records sur records, avec la simple fierté de finir en tête. Le jeu olympique ne doit pas perdre cette valeur fondamentale, car s’il paraît évident que la scène e-sport prendra un jour un essor majeur, au point de rejoindre les compétitions des Jeux et de devenir médaillable, son plaisir manette en main ne doit pas être sacrifié au nom d’un développement hâtif. Les jeux vidéo comme discipline olympique ? Oui, à condition de les intégrer intelligemment et d’en faire de véritables outils de compétition numérique pointus. Toute la difficulté sera de concilier une scène e-sport quelque peu délaissée par des choix incompris et de rassembler une communauté qui veut simplement s’amuser à recréer des Jeux Olympiques de manière virtuelle. Après tout, SEGA avait probablement vu juste en proposant deux titres, deux expériences, pour la même olympiade. Les plus nostalgiques d’entre vous n’auront plus qu’à souffler dans les cartouches ou se ruer sur le marché de l’occasion pour faire vivre un semblant de Paris 2024 sur consoles de salon.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.